Je renvoie volontiers à l’excellente analyse de Franz, grâce à qui j’ai pris connaissance de ce petit délice.
Pour ajouter mon propre grain de sel, je dirai que ce livre est un hybride d’autobiographie d’écrivain et d’essai sur l’écriture. Il se compose de trois matériaux divers qui s’alternent continuellement :
1. de réflexions un peu prescriptives sur le « métier », écrites à la deuxième personne (« tu »), comme dans l’enseignement à un disciple ou peut-être dans un monologue intérieur – ex. l’incipit « En écrivant, TU déploies une ligne de mots. » ;
2. de parties autobiographiques, où une grande attention est portée aux lieux où a été composé tel ou tel autre travail de l’auteure, écrites à la première personne – ex. le début du ch. IV : « Quelle est cette vie d’écriture ? Une fois, J’habitais seule une maison et J’avais installé un bureau au rez-de-chaussée. Une machine à écrire portable verte, de marque Smith-Corona, était posée sur la table contre le mur. JE commis l’erreur de quitter la pièce. » ;
3. de divagations de longueur très variable (d’un minimum de deux lignes à la totalité du ch. VII sur l’aviateur Dave Rahm), dont la pertinence, proportionnelle à la subtilité, à la lucidité, à l’intelligence de l’auteure, ne se révèle d’habitude qu’après coup, de préférence après détournement hors du texte de notre regard de lecteur, ou mieux encore, en fermant carrément le livre pour fixer le sourire énigmatique d’Annie sur la couverture ; ces divagations sont évidemment écrites à la troisième personne – ex. ch. I p. 16, après une métaphore de la « ligne de mots » comme « fibre optique » : « Peu de spectacles sont aussi absurdes que celui de la chenille géomètre menant son existence stupide. Ces chenilles sont les larves de plusieurs papillons, diurnes ou nocturnes. » […].
Une cit. me semble particulièrement réussie (pour rendre le ton de l’ouvrage ainsi que pour son contenu) :
« Les bonnes journées ne manquent pas. Ce sont les bonnes vies qui sont rares. Une vie composée de bonnes journées vécues à travers les sens ne suffit pas. Une vie consacrée aux sensations est une vie de gourmandise ; elle exige toujours plus. La vie de l’esprit exige toujours moins ; le temps est ample et doux son passage. Qui qualifierait de bonne une journée passée à lire ? Mais une vie passée à lire – voilà une bonne vie. » (p. 47).
C’est un essai qui peut être lu d’une traite, mais qui gagne sans doute à ne pas l’être.
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