Bien sûr, la couverture et le titre accrocheurs du dernier roman policier de DOA, Le serpent aux mille coupures paru en Série noire chez Gallimard peuvent soit repousser, soit attirer. La 4e de couverture n’est pas là pour dissiper l’air dubitatif du lecteur potentiel face à l’opus obscur qui a un faux air de faire-part de deuil. Trois définitions : chasselas, cocaïne et mondialisation et une brève biographie ne renseignent guère sur le contenu du livre. Il faut se lancer et là, l’œil est agrippé aussitôt et l’esprit se rive d’instinct à l’histoire. Baptiste Latapie, péquenot à Moissac, ville située dans le sud-ouest de la France, est venu de nuit saboter les vignes d’Omar Petit, un Français d’origine sénégalaise, marié à Stéphanie Dupressoir, tous deux et leur petite fille Zoé, héritiers d’une vigne convoitée par les affreux du cru, racistes en diable, bêtes, jaloux et teigneux. Baptiste n’est pas un saint mais quand il regarde le ciel, il voit : « A peine un liseré blanc-roux incurvé et une ombre grise pour signaler que la nouvelle lune était là. La lumière cendrée, l’Ancien lui avait dit que ça s’appelait comme ça, un jour. Lumière cendrée, tu parles, un pauvre croissant de lune, oui, qu’éclairait que pouic. » Ce sera la seule incursion de DOA dans la description bucolique, voire poétique. Le « pouic » marque le terme d’une embardée dans un autre monde paisible et lénifiant. On revient dans le trivial et on ne le quittera plus. Tout de suite, l’histoire dérape dans le cauchemar. Un Espagnol et deux Colombiens ont rendez-vous dans le coin avec deux mafieux italiens afin d’établir un pont entre l’Amérique et l’Europe et ouvrir des nouveaux marchés au trafic de la cocaïne. Les Napolitains ont du retard. Les Colombiens s’impatientent. Feito, l’homme de main, le tueur métis, aguerri et sans pitié, sort de la voiture pour se soulager mais il bute sur un motard comateux, blessé et gisant dans les parages. Aucun témoin de leur rendez-vous nocturne ne doit vivre : « Curieux de voir le visage de celui qu’il s’apprêtait à tuer, Feito inséra la lame sous la jointure pour relever le masque de plastique opaque. En découvrant les yeux du motard qui le fixaient, il comprit que quelque chose n’allait pas… » Latapie assiste, terrifié, à la tuerie qui s’ensuit.
DOA assemble dans un même lieu des protagonistes qui ne devraient jamais se rencontrer. Il ouvre l’histoire locale, un racisme exacerbé envers un paysan Noir, sur une terrifiante plongée dans le milieu opaque et mondialisé de la vente de drogue. L’auteur ne s’encombre pas de la psychologie et décrit l’action au plus près et au plus juste. Le lecteur croit s’installer dans une situation mais la ‘mort à l’arrivée’ déblaye tout sur son passage. Bien que les personnages soient stéréotypés et les actions parfois convenues, on est bel et bien ferré et mené par le nez jusqu’au bout de la ligne. De là à être ‘addict’, il n’y a qu’un pas qui est vite franchi, non sans plaisir. DOA est un écrivain intelligent qui sait ancrer son histoire dans le thriller efficace puis dépasser les limites du genre pour poser des questions justes et brûlantes. « Leng T’che, c’est le nom chinois de ce châtiment, la mort par les mille coupures. Réservé aux traîtres et aux meurtriers. » La traque se clôt sur la musique de Dead Souls, bien dans le ton du roman.
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