Frederic Brown (1906-1972) est un spécialiste des histoires très très courtes (deux pages). La chute est imprévisible, cocasse, dramatique, burlesque, émouvante. Le lecteur ne sait pas sur quel pied danser quand il débute une nouvelle de Frederic Brown. Ce qui est sûr, c’est le plaisir et l’envie de se faire ballotter entre le rire qui grince et l’horreur qui met en joie, enfin pas toujours. Le ton goguenard, l’humour noir n’éclipse pas un style et une maîtrise particuliers propres à l’écrivain américain. Les quarante-deux nouvelles publiées en 1963 n’ont pas vieillies d’une virgule. Bien que je connaisse les chutes pour avoir lu
« Nightmares and geezenstacks » il y a presque trente ans, je suis drôlement surpris de constater que mon plaisir de lecture est resté intact. Le rythme y est pour beaucoup. Quelques phrases bien senties mettent immédiatement en place une situation clairement identifiée. La première nouvelle intitulée ‘Vilain’ démarre ainsi :
« Pendant près de cinquante ans, Walter Beauregard avait été un coureur de jupons accompli et enthousiaste. » Afin de remédier à une virilité déclinante, le vieux beau (et riche) invoque un démon. Contraint d’exaucer son vœu, le Vilain lui remet un maillot de bain
« spécial, taillé dans un tissu du futur ». Aussitôt, tout est remis en place. Beauregard
« se sentit merveilleusement ragaillardi, ses veines charriant de la virilité. Il se sentait tout jeune homme, prêt à commencer une carrière de coureur de jupons. » Evidemment, plus dure sera la chute (du caleçon) ! La nouvelle suivante, ‘Abominable’ se passe dans le pays du yéti. La 3e, ‘Ricochet’ est franchement drôle. Un escroc à la petite semaine, Larry Snell, découvre qu’il possède le don de tuer à distance avec une simple injonction au téléphone. Il a le pouvoir de se faire obéir et aimer dès qu’il formule ses pensées. Il est redoutable et se rêve déjà Empereur du monde mais sa méchanceté gratuite risque de le terrasser. La série des cauchemars en couleur qui s’ensuit et que le titre original rappelle est bien révélatrice du talent de l’écrivain, des chutes imprévisibles et de la destination des histoires courtes : Playboy ou les pulps américains. ‘Le cauchemar en jaune’ est un régal :
« Sa décision de tuer sa femme, il l’avait prise un peu après. Le mobile était simple : il la détestait ». Tuer sa femme, le jour de son propre anniversaire, à la minute près, peut révéler de drôles de surprises. ‘Le cauchemar en bleu’ possède une des chutes les plus terribles du recueil. Heureusement, après cet uppercut, le lecteur fait un crochet par ‘L’anniversaire de grand-mère’ et Wade Smith va sentir ce que c’est d’être présent à une réception chez les Halperin que la grand-mère cornaque. Ensuite, le lecteur esbaudi et hilare redécouvre les grandes inventions de l’humanité perdues : l’invisibilité, l’invulnérabilité et l’immortalité. Les cours d’assassinat en 10 leçons dispensés par un diablotin risque de cuire à l’impétrant. Les nouvelles défilent d’autant plus rapidement qu’au jeu de la chute imprévisible, le lecteur cavale. ‘La corde enchantée’ amuse avec l’envolée de
« la ceinture du pyjama de George » sous les yeux d’abord concupiscents de son épouse. ‘Marotte’ laisse songeur. Elle commence ainsi :
« J’ai entendu murmurer que vous… possédez un poison rigoureusement indétectable ». Dans le derniers tiers du livre, les histoires s’étoffent sur une quinzaine de pages. Elles prennent davantage de relief et de densité. ‘Entité-piège’ est une nouvelle remarquable. Un esprit autonome, une entité, un alien, se déplace dans l’espace et se retrouve piégé dans la tête d’un soldat mourant :
« Etudiant et explorant sa prison, il ne parvenait toujours pas à comprendre la raison d’être de l’étrange et complexe ensemble de nerfs, de tubes et d’organes ». La suite est soufflante. La nouvelle suivante, ‘Agnelle’ laisse un arrière-goût de folie et de cauchemar au bord des lèvres. Fort heureusement, ‘Moi, Flapjack et les Martiens’ est une bouffonnerie hilarante. ‘La bonne blague’ qui s’ensuit plonge à nouveau dans le sordide. ‘Dessinateur humoristique’ déride les zygomatiques et l’ultime histoire ‘Les Farfafouille’ clôt le livre sur une note d’épouvante. Il est impossible de résumer toutes ces histoires qui sont déjà des condensés et qui s’articulent toutes sur au moins une bonne, voire une excellente idée. Sous l’humour léger et le ton espiègle, les travers humains y sont bel et bien épinglés mais il n’est pas utile de les collectionner ; ils sont surabondants, toujours les mêmes et surtout ils reviennent inlassablement avec chaque nouvelle génération. Autant dire que ces
Fantômes et farfafouilles pourront enchanter de nouveaux lecteurs quelle que soit l’époque ! Le livre de Frederic Brown est un classique.
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