Je ne m'attendais pas à tirer tant de plaisir d'une lecture que je croyais aussi aride que son titre.
Gisèle Halimi nous présente l'histoire d'une grande idée : la parité des sexes dans le système de représentation politique de la France, et les démarches de la commission et de l'Observatoire dont elle fut le membre.
Cela se passe peu après l'élection de Jacques Chirac et pendant qu'Alain Juppé était premier ministre : gouvernement de "juppettes", remerciées si massivement que personne n'a pu s'empêcher de se demander si ce n'était pas encore une façon d'en souligner l'incompétence : on a fait l'effort de "porter" des bonnes femmes au pouvoir et voilà comment on est récompensé...
D'abord, les débats d'idées : quotas ou parité ? pourquoi parité ? qu'en pensent les féministes elles-mêmes ? Beauvoir et Badinter n'y étaient pas favorables, l'un par méfiance en général devant le pouvoir, l'autre par négation idéologique qu'il y ait une différence entre les hommes et les femmes.
Amendement Halimi repoussé par le Conseil constitutionnel, motif : cela flatterait les aspirations communautaristes et ouvrirait la boîte de Pandore des exigences de quotas des gays, des Noirs, etc.
Se pose alors la question récurrente (mise d'ailleurs en avant par la Conseil constitutionnel) : les femmes sont-elles une catégorie ? Si oui, alors on comprend qu'il y ait un danger de type communautariste, si non, si elles sont une part individisible strictement dénombrée à la moitié de l'électorat, alors on ne peut que dire que la parité politique devient le moyen incontournable de faire accéder définitivement à la citoyenneté les femmes. Si l'on demande à un homme s'il se sentirait représenté dans un pays où il y a une Présidente, une Première Ministre et un Parlement à 90 % de femmes, gageons qu'il hésiterait à répondre oui : dans le témoignage de Gisèle Halimi un tel tableau était taxé par les intéressés de "cauchemar". Tel est pourtant le cauchemar quotidien des Françaises.
Combat de Roselyne Bachelot (dont cet essai fait un portrait vraiment positif), de Comte-Sponville (et bing, il va falloir que je le lise !)...
Halimi ménage son suspense car "la montagne accouche[ra] d'une souris", pour reprendre les mots de Chevènement (portrait extrêmement séduisant de lui aussi) : les conclusions de l'Observatoire ne seront pas transmises à l'Assemblée nationale, ce qui aurait dû être une loi historique se transforme en une mesurette, limitée à dix années et aux scrutins de listes, afin que les femmes "fassent leurs classes" (pourquoi les femmes devraient-elles faire leurs preuves en plusieurs étapes là où les hommes n'ont jamais eu d'autre préparation que l'agrément de leurs électeurs ? on se croirait revenu en 1944 quand on se demandait si les femmes seraient prêtes à voter en l'absence de leur "éducateur" naturel, le conjoint retenu au loin par la guerre). Le vrai problème est que la parité en politique mettrait à la porte 40% des élus et qu'on ne s'imagine pas demander aux députés de voter une loi pour une parité franche et massive qui équivaudrait à un pur et simple hara-kiri.
Ma seule réserve est sur le fait que cet essai date de 1997, aussi, quand Halimi déclare que les candidates à qui l'on donne leur chance sont "des candidates que la misogynie ne choque pas outre mesure, et dont, finalement, elles font leur profit. Des militantes qui jouent le jeu. (...) Il va de soi que les excitées qui, non contentes de se prétendre féministes (ce que l'on supporte aujourd'hui très bien, ça fait mode et moderne, exigeraient que leurs revendications soient celles de leurs partis (...) sont impitoyablement écartées. Ou marginalisées."
Entre temps, Ségolène Royal est passée par là et a eu sa chance.
Lu dans le cadre du Challenge ABC 2008.
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