« Continue d’avancer… avec tout ton cœur. » Cette phrase est le leitmotiv du 5e et dernier tome du Sommet des dieux ainsi que le cœur de l’œuvre de Taniguchi. L’injonction ou la supplique que psalmodient Habu et Fukamachi lors de leurs ascensions successives de l’Everest en solitaire et sans oxygène prend tout son relief et se répand avec ferveur dans l’esprit des protagonistes et dans celui du lecteur. Habu a cinquante ans. Il a entrepris de gravir le sommet des dieux par sa face sud-ouest, la plus difficile, la plus dangereuse, les dernières centaines de mètres sur une immense paroi hautement friable. L’oxygène manque. Les vivres sont réduites à presque rien. La volonté inflexible d’Habu, sa force exceptionnelle, son entraînement intensif, sa connaissance profonde de la montagne ne peuvent pas rivaliser avec la masse hérissée de l’Everest, immense et imperturbable. Fukamachi photographie au téléobjectif l’ascension d’Habu depuis un poste d’observation bien loin en contrebas. Habu va-t-il réussir ? Des nuages enveloppent la cime. Le vent forcit. Habu devient invisible tout comme Mallory et Irvine progressant vers le sommet le 8 juin 1924 et disparaissant à jamais dans des conditions similaires. Que faire quand on a brûlé toute son énergie. Le sommet atteint, il faut redescendre. Epuisé, Habu refuse d’abdiquer. Quand il se parle et qu’il se dit qu’il va continuer d’avancer avec son cœur c’est comme-ci il le jetait sur la glace pour le faire rouler. Jamais un homme ne pourrait se mettre autant à nu. Les conditions sont extrêmes. La mort ankylose le corps et l’esprit. Le moindre pas coûte une énergie considérable. Plus tard, Fukamachi reviendra au Tibet et reprendra l’ascension de l’Everest en novembre 1995. Il rencontrera à nouveau ses propres fantômes et mettra un terme à ses hantises et à ses obsessions. Réduit lui aussi à un corps souffrant, il lui faudra dialoguer avec les morts pour retrouver le chemin des vivants. « Un pas, dix halètements. Marcher et ne penser à rien d’autre. » Le 47e épisode se clôt sur le visage déterminé de Habu. La dernière page tournée, le lecteur ne peut plus oublier cette élégie faite par Baku et Taniguchi en l’honneur des hommes de haute tenue, misérables et grandioses dans leur dénuement et leur entêtement, amenés à se dépasser malgré les limites qui les accablent.
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