La séduction du roman noir
Loin des humains de Pascal Dessaint est un venin insidieux qui répand sa bile noire sans que le lecteur n’y prenne garde. On est vite accro à une petite musique lancinante et le livre ne relâche pas son emprise jusqu’à la fin et même après. Une citation de Jim Harrison mise en exergue du livre donne le ton :
« Les difficultés de la vie aboutissent à une forme particulière de mélancolie qui cristallise ensuite en un ensemble de gestes, de regards, de désastres ». L’histoire en elle-même est relativement convenue. Dans un quartier du Toulouse contemporain, Jacques Lafleur a été égorgé avec un sécateur. L’enquêteur Félix Dutrey reconstitue la vie de Jacques au fil d’entretiens et de réflexions personnelles. Parallèlement, Rémi, un jeune employé au recyclage des déchets ménagers découvre le journal de Jacques Lafleur. Frustré par sa propre vie, il s’identifie au diariste et finit par prendre les « choses » en main.
Le style de l’écrivain est souvent encombré de facilités. Des scènes de sexe peu convaincantes émaillent de temps à autre le livre. Certains personnages manquent de crédibilité. L’explosion de l’usine AZF s’intègre mal à la trame du récit. Le dénouement de l’histoire laisse le lecteur sur sa faim. Alors, d’où vient le charme du roman ? Il s’agit d’une narration à plusieurs voix ; chaque chapitre porte le prénom d’un protagoniste qui expose sa vision des événements. L’enquête policière concentrée sur trois jours avance avec fluidité selon les différents angles de vue. Le suspense et le rythme proviennent de l’enchaînement des points de vue des multiples narrateurs. Cette polyphonie maîtrisée témoigne d’une virtuosité propre à l’auteur Pascal Dessaint. L’envoûtante musique en sourdine provient de petites phrases désabusées qui parsèment le livre comme des cailloux noirs jetés presque négligemment par un ogre aux aguets. Le lecteur vit par procuration des vies avortées qui conservent une aura magnétique : voyager en solitaire, s’adapter à toutes les situations, pénétrer, comprendre et jouir de la nature au plus profond de soi mais s’interdire les sentiments conventionnels, l’amour durable, l’enracinement dans une vie conforme avec enfant bien élevé et maison proprette à la clé. Jacques est aux antipodes de son frère Pierre Lafleur mais plus dure sera la chute, de tous les côtés.
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