Une enfance frustrée de tendresse, une adolescence humiliée, un métier qu'il juge au-dessous de lui-même ont contribué à faire d'Abel Tiffauges l'ennemi de la société et des hommes qui l'incarnent. Mais un épisode de sa vie d'écolier lui a donné la conviction qu'il existe une secrète complicité entre le cours des choses et son destin personnel : parce qu'il devait ce matin-là comparaître devant le conseil de discipline, il a fait des vœux pour que le collège soit détruit par un incendie. Or, tandis que dans les cas ordinaires ce genre de prière demeure sans effet, cette fois l'incendie libérateur a lieu...
Deux passions éclairent et réchauffent sa solitude : la détection des symboles dont il devine la présence autour de lui, et le goût de la chair fraîche. Il hante les étals des bouchers, puis il rôde autour des écoles communales. Il y a en lui du mage et de l'ogre, le premier guidant et secourant le second. C'est ainsi qu'une affaire de viol menaçant de l'envoyer au bagne, la mobilisation de 1939 lui vaut un non-lieu : l'école a encore brûlé !
Fait prisonnier en 1940, il est acheminé vers la Prusse-Orientale. Mais alors que ses compagnons sont accablés par cette plaine infinie et désolée, Tiffauges y voit la terre magique qu'il attendait, et il trouve une étrange libération dans sa captivité. Pays des emblèmes héraldiques et paradis de la chasse, la Prusse-Orientale est exaltée de surcroît par la mythologie nazie et par son culte des symboles et du sang. Deux Ogres majeurs règnent déjà sur ses forêts et sur ses marécages : Göring, l'Ogre de Rominten, grand tueur de cerfs et mangeur de venaison, et Hitler, l'Ogre de Rastenburg, qui pétrit sa chair à canon avec les enfants allemands. Tiffauges devine l'Ogre de Kaltenbor, une ancienne forteresse teutonique où sont sélectionnés et dressés les jeunes garçons appelés à devenir la fine fleur du IIIe Reich.
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