Qui peut dire si quelque chose tourmente encore le vieil Anchise, si quelque rêve l'habite toujours dans sa dure solitude, si les collines qui l'entourent, et qu'il a rendues depuis longtemps à la sauvagerie, lui renvoient encore quelque écho, quelque bruissement, quelque rire du bonheur étincelant qu'il vécut autrefois, il y a bien longtemps, avec sa jeune femme qui était si blonde que tout le monde l'appelait la Blanche ?
Dans ce livre, il est dit de la Blanche qu'elle était menue et saisissante comme une ablette, avec son ventre d'argent qui troue les eaux les plus noires. Qu'elle était merveilleuse et insignifiante comme l'ablette. Qu'elle était inattendue et commune comme l'ablette et que, comme l'ablette, elle ignorait que ses écailles scintillantes avaient le pouvoir de changer les eaux les plus noires en voie Lactée.
Mais de leur après-midi d'amour dans la forêt de mimosas en fleur au-dessus du village, un dimanche de février, s'en souvient-t-il, Anchise ? Et des abeilles et des ruches qu'il aimait tant, s'en souvient-il, aussi ?
Comment faire renaître, une dernière fois, l'incandescence première ? Comment se jeter une fois pour toutes dans la lumière du grand amour perdu ? |