Des Mémoires ? Certes non ! Le moins possible de grands décolletés, arquebusades, vieux maîtres bourrus. Des souvenirs ? Ce livre en est composé, comme de portraits, mais il ne cherche pas à être exhaustif, à n'oublier rien ni personne. Il procède plutôt par glissements, associations, hasards. S'il reconstitue une vie, c'est à travers des parfums, des colères, des plaisirs, des deuils et non pas des prouesses. L'auteur n'a pas cueilli un bouquet de fleurs d'index - d'ailleurs ne vous y cherchez pas, il n'y a pas d'index.
Une chronologie allusive laisse le récit se développer à sa façon. A peine ai-je voulu suggérer qu'il n'a pas été conquis sur la résistance habituelle que nous opposent les écrits autobiographiques, mais sur les ridicules et la panique inséparables de toute aggravation de l'étrange maladie de vivre. Un peu de gaieté était requise, bien entendu, pour dompter mes fauves et fauvettes dans leur cage dorée. En somme, une vie ordinaire : foi, agnosticisme, tristesses sociales, alliances amicales et amoureuses, peur ou lâcheté devant les crimes du siècle, tentations et dégoûts politiques. Les livres - ceux des autres, les miens - ont bâti ma vie et fini par me faire une maison. J'ai écrit pour habiter mes livres, pour habiter ma vie. A l'heure (tardive) où j'en suis, la mémoire s'abandonne aux grandes marées intérieures et secoue mon bateau. |