L'histoire est classique du buveur désintoxiqué qui, après des années d'absolue sobriété, s'autorise soudain un petit verre. Juste un petit verre. Et replonge. A fond. Mais l'on ne se soûle pas que d'alcool. Parfois on ne retombe que pour mieux ressusciter. Retourner à son vice, à son démon - à son art - ouvre de somptueux vertiges, interdits aux repentis. Voyez Simon Nardis, le nouveau personnage de Christian Gailly. Il a suffi d'un soir au club, un petit club de province, pour qu'il se remette à la vodka... et au jazz. Dix ans plus tôt, pianiste renommé, il avait abandonné pour " raisons de santé ". Il était devenu bon mari, bon père, bon
spécialiste du chauffage industriel, n'écoutant plus que de la musique classique : " A défaut de swing il se gavait de beauté. " Ayant une heure à tuer avant de rentrer chez lui par le train, il accompagne dans le club un ingénieur dont il vient de dépanner l'usine. Et, d'entrée, il est secoué. Dans l'excellente façon de jouer des trois jeunes musiciens américains, il reconnaît... son style. Un " style qui avait pas mal chamboulé la pratique du piano en jazz ". Pendant la pause du trio il se met au clavier. La patronne du club le " reconnaît " à son jeu. Bientôt elle le rejoint sur l'estrade, se penche vers lui, reprend la mélodie au vol. Et c'est le bonheur qui revient. Fulgurant. La nuit qui suit et le lendemain, entre cet homme " près de la retraite " et
cette femme " qui avait bien l'âge qu'elle ne faisait pas " va s'amplifier et se concrétiser ce bonheur. Jusqu'à se vouloir éternel. Et la femme de Simon dans tout ça ? Elle arrive. En voiture. N'en disons surtout pas plus. Il serait criminel de dévoiler ne serait-ce qu'un soupçon de la suite de l'intrigue, elle-même criminelle. A sa façon. (Jean-Pierre Tison, Lire) |