Gogol n'a jamais conçu les " nouvelles de Pétersbourg " comme un projet global qu'il aurait réalisé chapitre après chapitre. Le titre, d'ailleurs, n'a été inventé qu'après sa mort, par des éditeurs, Saint-Pétersbourg n'est pas pour lui l'objet d'une étude systématique, mais l'occasion de voyages fantastiques, au sens le plus large du terme. C'est la ville des rencontres inopinées. Chacun peut y tomber sur des voleurs (Le Manteau), sur un tableau énigmatique (Le Portrait), sur deux chiens qui parlent (Journal d'un fou), ou encore... sur son propre nez, déguisé en conseiller d'Etat (Le Nez). De même que les héros de La Perspective Nevski suivent chacun une inconnue qui passe, de même Gogol s'empare d'une idée et se laisse mener par elle, dans le labyrinthe des surprises cocasses, des déceptions, des épouvantes, de la folie, de la damnation.
Traduire Gogol est un bonheur et une difficile épreuve. Car il s'agit d'un écrivain qui joue de tous les styles, depuis la banale grandiloquence jusqu'au débraillé chaotique, multipliant les surprises et les inventions, suggérant des intonations ronflantes ou sarcastiques. Comédien né, merveilleux lecteur à haute voix, Gogol laisse les mots imaginer. Il devine en eux d'infinis secrets, et s'abandonne à leur pouvoir.
On l'a dit " réaliste ". Mais le réalisme n'est qu'un aspect de cette œuvre hyperbolique, traversée de nostalgies et de terreurs inexplicables, empreinte d'une bouleversante bouffonnerie.
Curieuse coïncidence : Gogol est né la même année qu'Edgar Poe et partage sans le savoir son goût pour un mot magique : " arabesque ". |