Affamée d'autonomie et d'indépendance, notre société est comme désemparée lorsqu'elle se tourne vers ceux dont l'extrême vieillesse a pu battre en brèche les automatismes que l'on croyait définitivement acquis depuis l'enfance. Se déplacer, se nourrir, s'habiller, autant de menus actes
quotidiens qui ne vont plus de soi, qui résistent à un corps fatigué, à un esprit désorienté. Face à cela, notre angoisse est semble-t-il si profonde que nous parlons de "dépendance", en renvoyant dos-à-dos deux images schizophrènes : celle, bonhomme et sentimentale, du grand-père actif ; celle, angoissante
et angoissée d'un quatrième âge synonyme de dégradation physique et mentale. Or, au détour d'une allée fleurie, dans le recoin d'un appartement
surchauffé, dans l'alcôve d'une chambre sculptée de bibelots-souvenirs, les vieilles voix qui se racontent pour dire leurs handicaps, leurs défaillances, leur mémoire réduite à peau de chagrin insistent aussi,
souvent, sur un plaisir de vivre intact. Cet essai, cet état des lieux de la "dépendance" tente donc, en décryptant notre ambivalence faite d'amour et de culpabilité mêlés, mais aussi en définissant le rôle de chacun (médecin, aide à domicile, soignant, famille),
en débusquant les politiques locales et les approches diverses de nos voisins européens en la matière, de proposer une vision plus sereine de la vie et de son cours, au moment où ceux qui nous ont nourris requièrent de l'être à leur tour. Car "dépendants", ne le sommes-nous pas nous-mêmes à des degrés divers face à l'amour, aux autres, au travail, tout au long de notre vie ? |