Dans les couloirs vides d’un hôpital de Shangaï, Chamza Azimatov erre tel un fantôme aveugle. Tenue au secret, surveillée, manipulée, la jeune milliardaire s’est faite implanter à son insu des caméras miniatures dans les pupilles par la société privée Casear’s Hand travaillant en sous-traitance pour l’Etat américain. Ainsi, les agents secrets privés menés par Kendricks pourront voir par les yeux de Chamza, arriver jusqu’à Umar, l’Emir des Lumières soupçonné d’être au sein d’une nébuleuse terroriste et peut-être découvrir l’hypothétique pactole d’Al Qaida.
Le thriller futuriste pensé sur cinq albums par Thierry Smolderen met en place une histoire plausible où les questions posées ne trouvent pour l’instant aucune réponse. Les deux jeunes héroïnes aux relations indéfinies, Chamza et Lindsey ne possèdent pas encore suffisamment d’étoffe pour entraîner la sympathie et l’adhésion du lecteur qui assiste assez indifférent à leurs pérégrinations et aux avanies subies. Le graphisme de Dominique Bertail met en lumière des décors et des architectures futuristes accrocheuses. Les couleurs informatiques, les cadrages dynamiques créent des ambiances percutantes même si le trait manque parfois de précision et de fermeté dans le rendu des expressions corporelles. Le deuxième volume a gommé quelques tics du premier opus et engage à lire la suite.

Comme dans un prologue d’un film de James Bond, le militaire Gellett fait du rodéo avec son tout-terrain et bondit au-dessus de la barricade irakienne, évitant les balles et les obus, arrachant d’une mort certaine Ring et Kendricks, les agents secrets privés de la société Casear’s Hand. Alors que Kendricks fait la retape pour sa boîte dans l’enfer des feux croisés, Gellett rétorque : « Faudra nettoyer le sang que vous avez sur la gueule ! » Le générique s’affiche : « Ghost Money ». Flash back : Istanbul, 3 septembre 2003, Haddad est kidnappé par des Américains, présumé coupable avant d’être jugé, soupçonné de liens avec la nébuleuse d’Al-Qaida puis envoyé dans les sinistres geôles de la CIA, torturé sans relâche. Il meurt en proférant un mensonge face aux agents de Casear’s Hand en se faisant passer pour le banquier des terroristes islamistes. Les Américains n’ont plus qu’une idée fixe : retrouver le fabuleux trésor amassé lors des ventes massives d’actions avant les attentats du 11 septembre 2001. A Londres, vingt ans plus tard, Chamza est une étudiante richissime. Lors d’une manifestation, une bombe explose, provoquant un rush humain de panique. Lindsey, jeune manifestante, risque d’être piétinée par la foule mais opportunément, Chamza lui tend la main et lui permet de sortir du flot meurtrier. Une relation oscillant entre l’amour et l’amitié va naître entre Chamza et Lindsey mais Kendricks et sa bande n’ont pas encore rendu les armes. Ils pensent que la fortune de Chamza pourrait avoir son origine dans le trésor d’Al-Qaida alors ils pistent et ourdissent un traquenard dont Lindsey va faire les frais.
Ghost Money est une bédé de politique fiction qui doit s’étager sur quatre albums. Elle est intéressante par bien des aspects mais elle peine aussi avec les tics ridicules qui collent d’habitude aux films d’action, vocabulaire au rabais et comportements stéréotypés. Les personnages manquent d’épaisseur et leurs relations sont bâties sur du vide. Pas un instant on ne croit à l’intérêt que porte Chamza à Lindsey. Des longueurs, notamment liées aux voyages suborbitaux de Chamza, plombent le récit. Les agents secrets sont de parfaits abrutis, méchants et déterminés. La scène de sodomie entre eux est cruellement risible. Du côté des bons points, l’histoire s’attaque intelligemment à l’actualité et pointe un vrai scandale gentiment sous contrôle depuis, celui du déni d’initiés lorsque les actions des compagnies aériennes ont été vendues, anticipant la chute des tours new-yorkaises et le vent de panique qui clouera tous les avions au sol, entraînant faillite sur faillite. La finance internationale qui régit le monde fait froid dans le dos. Le dessin de Philippe Bertail est souvent étonnant, séduisant, convaincant. Bien que l’album nage dans les teintes sombres, grises, vertes et bleues, le travail sur les couleurs est remarquable, la lumière est travaillée, soulignant les différentes ambiances, en adéquation avec le découpage serré et les cadrages travaillés. En dépit d’une surenchère de cases, la lecture demeure fluide de bout en bout. Méga bases, moteurs de recherche, réseaux sociaux, la vie privée est marchandisée, appauvrie, violée et bafouée. L’informatique et la génétique combinées, on entre dans un monde paranoïaque que Thierry Smolderen pointe du doigt. En ce sens, Ghost Money est novateur et salutaire.