L'autobiographie de Malcolm X / X Malcolm et Haley Alex, traduit de l'américain par Guérin Anne ; introduction de Guérin Daniel. – Paris : éditions Presses Pocket, 1993, (First edition : The Autobiography of Malcolm X. – New York : Grove Press, 1964). – 328 p. – n° 2926. – ISBN 2-266-05633-6
Comme souvent, j'ai trouvé ce livre en brocante. Il y a déjà bien longtemps, j'avais lu l'autobiographie d'Angela Davis, mais j'ignorais qu'il en existait une de Malcolm X, écrite en collaboration avec un journaliste.
Malcolm, né le 19 mai 1925, était un des enfants du révérend Earl Little, pasteur baptiste, et de sa seconde épouse. Earl Little était également un disciple de Marcus Garvey, un activiste d'origine jamaïcaine qui, selon Wikipedia, ne croyant pas que des Noirs pouvaient vivre libres et respectés hors d'Afrique, militait pour l'union des Noirs du monde entier et pour leur retour en Afrique. A quatre ans, Malcom connaîtra le choc de l'incendie nocturne de leur maison par des Blancs. Deux ans plus tard surviendra la mort de son père, mort attribuée par ses proches à la Légion noire (un mouvement de la même sorte que le Ku-Klux-Klan, mais dont les membres revêtaient une robe noire et non blanche comme celle des membres du Klan).
S'ensuivra une période de grande pauvreté, pendant laquelle Malcolm prendra l'habitude de chaparder. En 1937, l'Assistance publique fera entrer sa mère dans un hôpital psychiatrique et les enfants se trouveront dispersés, sans se perdre complètement de vue. Malcolm se fera renvoyer de son établissement scolaire et du même coup sera placé dans une maison de détention, antichambre d'un centre de redressement.
La directrice de la maison et son mari le prennent en amitié et l'inscrivent dans un lycée où il est le seul Noir, à l'exception des enfants plus jeunes d'une autre famille. Il y devient très populaire, bien que l'objet d'un racisme pour lequel j'ai de la peine à trouver un qualificatif, car il n'empêche pas une véritable bienveillance. Bien qu'il soit un des meilleurs élèves de son lycée, lorsque son professeur d'anglais se soucie de son avenir, et que Malcolm, pris au dépourvu, lui répond qu'il veut devenir avocat, il obtient la réponse suivante : « Malcolm, dans la vie il faut être réaliste avant tout. Comprends-moi bien. Ici nous t'aimons tous, tu le sais. Mais tu es un nigger : c'est sur ce point qu'il faut te montrer réaliste. Être avocat, ce n'est pas une ambition réaliste pour un nigger... » Et Malcolm commente : « J'ai souvent pensé que, si M. Ostrowski m'avait encouragé à devenir avocat, je serais sans doute aujourd'hui membre de cette bourgeoisie noire, qui exerce des professions libérales, sirote des cocktails, et pose en porte-parole ou en leader du peuple noir alors que son principal souci est de s' " intégrer " et mettre la main sur les quelques miettes que les Blancs lui abandonnent à contre-coeur ».
Sa demi-soeur plus âgée, Ella, fait venir Malcolm à Boston. Il y trouvera un travail de cireur de chaussures dans un dancing. « Il ne m'avait pas fallu longtemps », dit-il, « pour découvrir que Freddie [son prédécesseur] passait moins de temps à cirer les souliers et à offrir des serviettes, qu'à vendre de l'alcool et des marijuanas et à mettre des " michés " blancs en contact avec des putains noires ». Malcolm se mettra à la danse, avec beaucoup de succès. Sophia, une Blanche (mariée) deviendra sa petite amie. Puis il quittera son premier emploi et s'installera à Harlem.
Il entreprendra de vendre de la marijuana dans les trains aux musiciens en tournée. Une fois repéré, il s'exercera au vol et aux hold-ups. « J'avais pour principe de ne jamais voler plus qu'il ne m'en fallait pour vivre. Demandez à n'importe quel trafiqueur de métier : il vous dira que la cupidité mène directement à la prison ». Il entrera ensuite dans ce qu'il appelle « le trafic des numéros de loterie » (des paris clandestins apparemment). Il travaillera ensuite pour des tenancières de bordels comme « guide » pour les clients blancs, puis pour un Juif qui achète, rénove et revend des bars et des restaurants délabrés, mais surtout leur fournit de l'alcool. Un jour, son patron disparaîtra définitivement.
Une « embrouille », comme on dit aujourd'hui, avec une de ses relations conduira Malcolm à revenir à Boston avec Shorty, l'ami qui lui avait procuré son travail de cireur. Malcolm le convaincra (facilement) de se lancer avec lui dans le cambriolage (« Je commençai par le gagner à ma conviction [… ] que seuls les imbéciles croient pouvoir arriver à quelque chose en travaillant. ») Ils s'adjoindront un ami commun, Rudy, employé comme garçon dans des "parties" de la bonne société et donc à même de faire des repérages. Sophia et sa sœur seront elles aussi utilisées à faire des repérages en se faisant passer pour des vendeuses, des étudiantes, des enquêtrices. Après un certain temps, tous, sauf Rudy, seront arrêtés.
Malcolm sera condamné à dix ans de prison. Sous l'influence d'une de ses sœurs et d'un détenu très assidu à la bibliothèque de la prison et très écouté aussi bien des détenus que des gardiens, il prendra des cours par corrrespondance (anglais et latin). Malcolm était athée au point que ses codétenus lui avaient attribué le sobriquet de « Satan », mais plusieurs de ses frères ou sœurs s'étaient convertis à ce qu'ils appelaient « la religion naturelle du Noir » et appartenaient à la « Nation de l'Islam ».
L'islam, oui, mais un islam « made in U.S.A. » Ses frères et sœurs étaient disciples de « l'Honorable Elijah Muhammad ». Noir « comme nous », dit Malcolm, il était né aux Etats-Unis, dans une ferme de Géorgie. Sa famille était montée à Detroit, où il avait rencontré un certain Wallace D. Fard. Il affirmait que Fard était « Dieu en personne ». M. Wallace D. Fard avait confié à Elijah Muhammad le message d'Allah à l'intention du peuple noir, peuple qui constituait « la Nation perdue et retrouvée de l'Islam dans le désert de l'Amérique du Nord ».
Ce n'est encore rien : « Au commencement, la lune avait été séparée de la terre. Ensuite les premiers hommes, les hommes noirs, fondèrent la ville sainte de La Mecque […] Il y a environ 6 600 ans, soixante-dix pour cent des gens étaient contents, et trente pour cent mécontents. Parmi les mécontents, il y avait un certain "Monsieur Yacub" […] Il avait appris, entre autres, à élever de nouvelles races par des méthodes scientifiques […] Il fit tant d'adeptes que les autorités, alarmées, l'exilèrent avec ses 59 999 disciples dans l'île de Patmos […] furieux contre Allah, M. Yacub résolut de se venger en créant une race diabolique, une race décolorée, blanche ». Je vous passe la suite.
Grâce aux démarches de sa sœur Ella, Malcolm sera transféré dans la colonie pénitentiaire de Norfolk, « prison expérimentale ayant pour but la réhabilitation des criminels […] jusqu'à ma sortie de prison, je passai tous mes moments libres à lire, soit à la bibliothèque, soit sur mon lit de camp. Impossible de m'arracher à mes livres. Je passai ainsi des mois à m'imprégner des doctrines de M. Muhammad, à écrire des lettres, à recevoir des visites, d'Ella et de Reginald surtout, et à lire […] C'est aussi à la colonie pénitentiaire de Norfolk que j'appris à parler en public ». Dès cette époque, Malcolm entreprendra de recruter des disciples pour M. Muhammad.
En août 1952, Malcolm obtient une libération conditionnelle. Son frère Wilfred, adepte d'Elijah Muhammad, l'invite à vivre chez lui, à Detroit. Ensemble, ils fréquentent trois fois par semaine le « Temple » Numéro Un. Le 2 septembre, les Musulmans du Temple Numéro Un se rendent au Temple Numéro Deux, à Chicago, pour y entendre Elijah Muhammad. Ce sera l'occasion pour Malcolm d'obtenir l'accord d'Elijah Muhammad pour une campagne de recrutement qu'il désire entreprendre. « C'est à cette époque qu'on m'accorda mon "X". Le "X" du Musulman représente son véritable nom de famille africain, celui qu'il ne peut pas connaître, le "X" remplaçait le nom de Little qu'avait imposé à mes ancêtres quelque diable blanc aux yeux bleus nommé Little ».
Au cours de l'été 1953, Malcolm sera nommé assistant « pasteur » du Temple Numéro Un de Detroit. Un peu plus tard, il sera autorisé par M. Muhammad à se rendre à Boston, et au bout de trois mois il sera en mesure d'y ouvrir un petit temple. En mars 1954, le Messager l'envoie à Philadelphie où il sera le pasteur du Temple Numéro Douze, qu'il ouvre aussi au bout de trois mois. Un mois plus tard, M. Muhammad le nomme pasteur du Temple Numéro Sept à New-York. Il y avait, à cette époque, un mouvement nationaliste noir et Malcolm, avec quelques « frères », recrute en marge de leurs meetings. Mais là où sa « pêche » sera la plus fructueuse, c'est à la sortie des églises chrétiennes de Harlem.
Malcolm épousera une « soeur », avec laquelle il aura quatre filles [et deux jumelles nées après sa mort]. Il créera un journal mensuel, "Muhammad parle". En 1959, M. Muhammad l'envoie en Afrique pour une tournée de trois semaines. A la fin de l'année, un reportage télévisé intitulé "La haine engendre la haine" fait largement connaître la Nation de l'Islam. Lorsque M. Muhammad aura des problèmes de santé, il incitera Malcolm à prendre lui-même nombre de décisions. Malcolm sera de plus en plus connu et sollicité pour des entretiens à la radio, à la télévision, pour des magazines, pour des conférences dans les universités. Il y critique vivement les organisations noires et les libéraux blancs intégrationnistes. Il voit dans la démarche d'intégration des Juifs en Allemagne l'exemple même à ne pas suivre, et de la fondation d'Israël après la guerre il dit : « C'est ainsi que les Juifs ont fondé Israël, leur propre patrie. La patrie, voilà bien la seule chose que tout le monde comprenne et reconnaisse ».
Viendra un moment où la Nation de l'Islam entreprendra de mettre Malcolm de côté, s'appuyant d'abord sur une déclaration de lui à l'occasion de l'assassinat de Kennedy jugée inappropriée. Un de ses assistants lui affirmera qu'il lui aurait été demandé de faire exploser sa voiture au moment où il mettrait le contact. Comme, de plus, Malcolm estime que les musulmans noirs ne devraient pas seulement prêcher, mais passer à l'action, il entreprend de fonder sa propre Mosquée musulmane à New-York.
Mais à ce moment, il lui importe de faire le pélerinage à La Mecque. Sa sœur Ella lui fournit l'argent nécessaire, car il ne vivait jusqu'ici que des subsides accordés par la Nation de l'Islam. A Djeddah, il sera pris en charge par une personne qui lui a été recommandée et accueilli par sa famille. « C'est ce matin-là que je commençai à réviser l'idée que je m'étais faite de "l'homme blanc". Dans le monde musulman, je venais de voir pour la première fois de ma vie des hommes à la peau blanche se conduire avec moi comme des frères ».
Après le pélerinage, Malcolm fera plusieurs escales en Afrique. Il dit ceci, qui me semble d'un grand intérêt pour comprendre les régimes politiques des pays africains : « Dans l'avion qui me conduisit au Nigéria, je bavardai avec un Africain fervent de politique : "Lorsqu'un peuple qui stagne commence à sortir du marasme, il n'est pas question de vote", criait-il. Les nouvelles nations d'Afrique, ajouta-t-il, n'avaient pas besoin d'un système qui favoriserait les divisions intestines, les chamailleries : "Les gens ici ne savent même pas ce que voter veut dire !" »
Peu après le retour de Malcolm aux Etats-Unis, il se passe ceci : « Le lendemain je me trouvai au volant de ma voiture lorsqu'une autre voiture vint s'arrêter à côté de moi, au feu rouge. Une Blanche la conduisait. Un Blanc était assis à côté d'elle. "Malcolm X !" cria-t-il. Et de sa voiture il me tendit la main : "Ca vous ennuie de serrer la main à un Blanc ?" demanda-t-il. Vous vous rendez compte ? Juste au moment où le feu passait au vert, je lui répondis : "Ca ne m'ennuie pas de serrer la main à un être humain. Vous en êtes un ?" »
Mais Malcolm continue à penser que les Blancs ne doivent pas entrer dans les organisations noires : « La présence même des Blancs au sein des organisations noires rend celles-ci moins efficaces. Il faut que les Noirs s'aperçoivent qu'ils sont capables de se débrouiller tous seuls, de travailler tous seuls, parmi les leurs ; et la présence des Blancs, même les meilleurs, retarde cette prise de conscience ». Il dit aussi : « Certes, mes méthodes sont radicalement opposées à celles du Dr Martin Luther King, apôtre de la non-violence (doctrine qui a le mérite de mettre en relief la brutalité du Blanc à l'égard des Noirs). Mais dans l'atmosphère qui règne actuellement en Amérique, je me demande lequel de ces deux "extrémistes" : le "violent" Malcolm X ou le "non-violent" Dr King, sera mort le premier ».
Ce sera Malcolm, le dimanche 21 février 1965, abattu au début d'un meeting à l'Audubon Ballroom, à Harlem.
Ce livre est d'une lecture passionnante, probablement parce qu'Alex Haley a su faire ressortir le formidable talent d'orateur de Malcolm X.
|