"Dolce Vita 1959-1979" se veut un panorama de l'Italie de ces années 60 et 70, période de mutations culturelles, politiques et sociales qui passèrent par de douloureux combats et d'impitoyables luttes intestines.
D'ailleurs, en ouvrant son roman sur la description de scènes issues du film éponyme de Federico Fellini, Simonetta Greggio le place sous le signe des divisions qui marquèrent alors son pays natal, entre pudibonderie religieuse et aspiration à plus de liberté, entre censure réactionnaire et renouveau de la création artistique.
C'est le pape Paul VI, élu en 1963, qui est en place à cette époque. Cet homme, obsédé par le Diable et le péché, soupçonné d'homosexualité, a fait de la lutte contre la réalité de la chair son fer de lance.
Pour rappel, dix ans auparavant, la femme de Fausto Coppi avait été arrêtée pour adultère (lui-même ayant été dénoncé pour abandon de domicile conjugal) : la rigidité morale et puritaine qui prévaut alors est couplée d'un machisme séculaire qui considère la femme comme un objet. Il faudra attendre les années 70 pour que le viol soit considéré comme un crime contre la personne, et non plus uniquement comme un crime contre la morale...
Autant dire que la loi sur le divorce (1970) et celle sur l'avortement (1978) désespèrent Paul VI, mais on ne peut pas éternellement aller contre la marche de l'histoire... Une certaine jeunesse italienne qui se sent frustrée, réprimée par une société qu'elle juge barbare, qui assiste à la libération sexuelle chez ses voisins européens, et qui découvre avec le cinéma, la musique, qu'un autre monde est possible, aspire à des rapports plus égalitaires entre les hommes et les femmes, souhaite se libérer des carcans imposées par une Eglise immuable et dépassée.
A cette frange de la jeunesse s'oppose celle, issue de l'aristocratie d'extrême droite, qui profite de son impunité et de sa fortune pour se laisser aller à tous les abus et toutes les violences, notamment vis-à-vis de jeunes filles qui dans la majorité des cas n'oseront même pas se plaindre pour obtenir une utopique réparation...
Et ce clivage n'est pas spécifique à la jeunesse. En cette période de guerre froide, l'Italie est elle-même le théâtre d'un affrontement sans merci entre les différents courants idéologiques. La répression sanglante du gouvernement de démocratie chrétienne répond aux attentats et actes de terrorisme supposés être l'oeuvre des groupes d'extrême gauche, un gouvernement qui s'appuie sur ses connivences avec la mafia, la CIA, ou encore l'OSS pour lutter contre les brigades rouges, et surtout pour conserver le pouvoir et la mainmise sur les richesses nationales...
On assiste, dans l'ombre, aux manoeuvres insidieuses mais influentes de la célèbre loge maçonnique P2(1), qui compte parmi ses membres PDG, journalistes, politiques, généraux de l'armée et des services secrets, une loge "créée dans le but de subvertir l'ordre politique, social et économique du pays (...) notamment en prenant le contrôle des médias". Une organisation à laquelle adhéra Berlusconi en 1978...
Entre la manipulation, par le gouvernement, les instances financières et religieuses, de l'opinion, les agissements opaques de certains dirigeants, l'influence des nébuleuses liées à certains courants politiques, Simonetta Greggio dresse le portrait d'une Italie corrompue, placée entre les mains d'individus malfaisants, prêts à tout pour conserver le pouvoir, à laquelle s'oppose un peuple en quête d'égalité et de justice.
Dans une volonté de brosser un tableau exhaustif de cette époque, l'auteure procède en nous livrant les événements, qui ont alors marqué l'Italie, sous forme de flashs. Elle a pour cela choisi d'évoquer des faits divers et historiques qui reflètent non seulement les transformations politiques, sociales, culturelles, qui ont alors bouleversé la péninsule, mais également l'état d'esprit qui y régnait, aussi bien au sein du peuple ou des étudiants, par exemple, que dans les hautes sphères économiques, étatiques ou religieuses.
Elle utilise un porte parole, le prince Emanuele Valfonda, qui se sent à la veille de la mort et éprouve le besoin de se confesser au jésuite Saverio. Mano -ainsi que se surnomme lui-même le prince- aristocrate fortuné, a vécu durant les années dont il est question en profitant des femmes et de sa richesse, a côtoyé des célébrités, des hommes influents ; il rapporte ses souvenirs personnels, ainsi que ceux des événements qui ont alors fait l'actualité, par bribes, et dans l'ordre où ils lui viennent, c'est-à-dire sans véritable logique chronologique.
Cette méthode a peut-être le mérite de permettre à l'auteure de passer en revue le maximum d'éléments qu'elle estimait indispensables à son récit, mais elle a aussi un inconvénient : j'ai eu personnellement du mal à rentrer dans ce roman, qui passe d'un fait à l'autre et dont les personnages sont si multiples que l'on n'a le temps de se familiariser avec aucun.
La diversité des sujets fait qu'ils ne sont jamais vraiment traités en profondeur. Le lecteur, en refermant "Dolce Vita 1959-1979", est finalement davantage touché par la sensation qu'il en retire, celle d'avoir presque pu toucher du doigt une infime partie de l'âme d'une Italie en plein bouleversement, que par le sentiment d'avoir fait connaissance avec l'Histoire...
Peut-être n'est-ce déjà pas si mal...
(1)Pour info, celle-ci a été déclarée illégale et dissoute par une loi spéciale en 1982, car elle était "un point d'ancrage en Italie des services secrets américains, dont l'intention était de tenir sous contrôle la vie politique italienne. Notamment en vue de promouvoir certaines réformes constitutionnelles, voire d'organiser un coup d'État."
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