Je suis très déçu par cet ouvrage, qui devrait figurer le vécu et les pensées du grand poète palestinien, durant une journée d'août 1982 à Beyrouth, sous le feu des troupes israéliennes. L'incipit, repris dans l'excipit, est un rêve qui s'appose à un autre rêve en le complexifiant ; suivent des pages sublimes de description des bombardements et du désir de café du protagoniste, description particulièrement olfactive de cette boisson emblématique. La barre, placée très haut d'emblée, n'a pas empêché néanmoins une navigation à la dérive où se sont mêlés, sans aucune possible prédiction : les dialogues imaginaires – parfois de véritables polémiques voire des règlements de comptes avec des personnages désormais méconnaissables, quelques considérations politiques – non dépourvues d'intérêt, au demeurant, par ex. l'image des Palestiniens auprès des Libanais, mais fatalement très circonstancielles – ; des passages purement oniriques ; d'autres diversement elliptiques ; des pages vaguement érotiques – ou allusives dans ce sens – et enfin ce qui ressemblerait à la transcription en prose de poèmes et autres textes arabes classiques. En vain j'ai cherché, entre autres ancrages dans le vécu, la référence aux différents moments de la journée ou à des lieux ou événements précis.
L'écriture est belle. Mais cela n'a fait que m'énerver d'avantage : était-ce le moment, réel ou imaginé, de se livrer à des petitesses, controverses, esthétismes, hermétismes, propos contingents destinés à une intelligibilité éphémère, rêves de rêves, en liquidant, au bout de quelques très belles pages initiales, la description réaliste d'une journée de guerre ? La problématisation de la situation immédiate a-t-elle pu se limiter à la question de savoir si les Palestiniens quitteraient ou non Beyrouth ? La sublimation d'un instant dramatique ne peut-elle s'opérer que par une surabondance d'imaginaire, d'abstraction et de lyrisme ?
Cit. :
« Il nous faut savoir ce que nous désirons, me suis-je dit : notre pays, ou l'image de nous-mêmes loin de notre pays, ou bien encore l'image de notre nostalgie pour notre pays à l'intérieur du pays... » (p. 88)
« Les obus auraient-ils une descendance ? Nous.
Les éclats auraient-ils une ascendance ? Nous.
Le silence, le silence des spectateurs, s'est mué en ennui. A quand la chute des héros ? A quand le retour aux choses familières ? Tout cela était-il fait à dessein pour que les spectateurs s'ennuient, eux qui n'aspirent qu'à une vie ordinaire, loin des grands idéaux et des mots d'ordre ? » (p. 106)
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