et si dieu revenait sur terre, pas sûr qu'il ait le dernier mot ! Variations subtiles sur la rencontre de Dieu et notre société de consommation, de spectacles et de communication. Miroir fidèle de nos agissements.

Marc-Antoine Mathieu est un drôle de phénomène dans la BD française, avec notamment sa série autour de Julius Corentin Acquefacques. Spécialiste du noir et blanc intégral (sans niveaux de gris) il est plutôt du genre à prendre son temps pour publier un album. A chaque fois nous avons affaire à de petits bijoux.
Autre spécialité : jouer avec les paradoxes, les problèmes philosophiques récurrents... Dans cet album-ci, "Dieu en personne" raconte l'arrivée sur Terre d'un personnage bonhomme, qui le rend presque insignifiant. Si ce n'est qu'il s'agit donc de Dieu. Passés les premiers moments d'émoi et de curiosité, les problèmes commencent à se poser sérieusement à Dieu, qui est tout de même un coupable universel ! Un procès géant commence alors et nous lance dans de profonds débats qui méritent une bonne concentration. Le propos n'aborde pas l'athéisme, ni même vraiment la religion. Il s'agit plutôt d'une forme de sociologie, matinée de métaphysique.
C'est aussi un album jubilatoire, manipulant ses personnages tout comme ses lecteurs, à lire sans hésitation, et à relire.

Un jour, Dieu débarque parmi les hommes. Ceux-ci, dubitatifs au début, finissent par accepter cette nouvelle situation, particulièrement les sociétés de marketing qui ont trouvé là un bon filon à exploiter. Mais très vite, une partie de l'humanité, indignée par la passivité de Dieu face aux problèmes mondiaux, le traînent devant la justice. S'engage alors le plus grand procès de l'histoire, celui de Dieu...

Je n'ai pas accroché à cette histoire. L'idée est très intéressante mais je n'ai pas aimé la façon de la raconter, sous forme d'interviews de personnages interchangeables et ennuyeux, ni les dessins en noir et blanc. La critique sur notre société axée sur le marketing et la communication est finalement assez banale.

Avec ses grisés an aplats, le noir et blanc de l’album passerait presque pour de la couleur. On dit que le gris fait chanter les couleurs. Ici, il fait chatoyer les noirs et les blancs. N’est-ce pas un miracle digne de son contenu qui consiste à traiter de « Dieu en personne » ?
Le premier chapitre, « Dieu Dieu » se construit en sous-chapitres, « Le recensement », qui, sous une bonhomie feinte de trognes hilares mangées par les ombres, de situations proches de l’absurde, voit l’arrivée de Dieu, tel un simple quidam, s’inscrire au registre de recension. « Hé ! Vous avez entendu ? Il y a un gars qui prétend être Dieu ! » ; « Eh bien bon courage mon gars ! ». Attachée de presse, soudeur, psychiatre, historien, laborantine, sociologue y vont de leur couplet pour rendre compte de la venue de Dieu parmi les hommes. Les autres sous-chapitres s’enchaînent, « Prodiges », « Le bain de foule » et amènent au second chapitre, « Le procès », le plus conséquent en nombre de pages. L’album se clôt sur un épilogue qui laisse une béance insondable comme une conclusion ouverte et sans réponse.
L’auteur a l’art de mélanger le loufoque et le tragique, de fortement connoter son discours pour mieux le subvertir. Les références à la télévision de papa (« Au théâtre ce soir », le duo de commentateurs : « Tout à fait Thierry ! » qui aura le dernier mot de l’histoire) s’entremêlent habilement aux maux contemporains (on n’existe que médiatiquement ; tout se construit de toute pièce et peut s’effondrer instantanément). Il faut com-mu-ni-quer ! Le sens est partout dans cet album intelligent en diable. Il faut le déguster par petites lampées gourmandes. On est saisi par un vertige métaphysique. Notre psyché est-elle aussi vaine que ça ? « Dieu en personne » est un titre polysémique. Incarné, il n’a plus d’existence. Confronté à un super ordinateur lors de son procès, Dieu s’émeut de la familiarité et de la naïveté de H-1, une machine qui a « des billions de données en mémoire, soumises aux trilliards de paramètres qu’il manipule, eux-mêmes synthétisés par les millions de moteurs d’analyses, sans oublier l’interconnection de variables aléatoires (émotion, hasard…) ». Faut-il passer par un ordinateur pour exprimer une simple question de cœur ?
Les bandes dessinées de Marc-Antoine Mathieu m’apparaissent aujourd’hui essentielles.