Nous sommes le 19 novembre 1975. Ce n'est pas un jour comme les autres pour José Ricart grand magnat des affaires. C'est le jour anniversaire de ses 75 ans. Sa famille, ses amis se préparent à fêter l'évènement. Ce jour est également extra-ordinaire pour un autre espagnol beaucoup plus médiatique, Francisco Franco Bahamonde agonise perclu de sondes à l'hôpital de la Paz, ce sera son dernier jour.
Rafael Chirbes avec virtuosité déroule cette journée qui se veut , à travers les destins entremêlés de plusieurs personnages, un condensé de l'histoire de L"Espagne franquiste. Pendant que le vieil autocrate se meurt la tragi-comédie de l'existence continue. Les vieux phalangistes comme José Ricart ou son ami Maxi, commissaire aux affaires politiques, se lamentent sur la fin d'un monde, son fils Tomas en bon technocrate se soucie comme d'une guigne de la suite des évènements, les affaires sont les affaires ... Puis l'auteur se glisse dans le cerveau de toute une floppée de personnages féminins, c'est d'ailleurs la partie la plus passionante du livre, ce qui nous donne de merveilleux portraits, finement psychologiques, de femmes "au bord de la crise de nerfs" comme Olga la grande bourgeoise ou Ada, la peintre reconnue et engagée politiquement ; mais aussi Marga l'étudiante issue d'un milieu très favorisé mais dont le coeur penche à gauche , et puis Lourditas la petite bonne des Ricart dont le mari est un activiste gauchiste recherché par la police. D'ailleurs les hommes ne sont pas à la fête avec Chirbes ; le vieux patriarche a monté ses affaires en faisant du marché noir après la guerre civile, son ami Maxi est un policier retords et sadique dont le machisme est emblématique d'une certaine Espagne, les fils de Tomas (le fils du patriarche) sont des petits "merdeux" (dixit leur grand-père), même l'ouvrier Lucio, gauchiste pur et dur, adepte de l'action violente, semble archaïque et dépassé dans le cadre de la nouvelle Espagne qui se profile.
Car l'auteur a bien saisi que le 19 novembre 1975 était plus que la fin d'un système , c'était aussi le commencement d'une nouvelle ère pour le pays dont toutes les composantes avait été décidées depuis la fin des années 60. Les technocrates de l Opus Dei oeuvraient déjà dans les coulisses du pouvoir et ce 19 novembre l'agonie prolongée de Franco n'avait de sens qu'au regard du temps nécéssaire aux"décideurs" pour mettre en place le nouvel échiquier du pouvoir.
Dans le livre de Rafael Chirbes l 'avocat Taboada est représentatif de ces hommes nouveaux ; étudiant gauchiste, puis avocat aux nobles causes , engagé politiquement, partisan pour l'après-franquisme d'une société égalitaire (embrassons-nous Folleville...plus d'ouvriers, plus d'intellos...) ,puis sentant le vent de la modernité qui commençait à décornner les toros franquistes Taobada renie simplement ses anciennes amours ; adios l'ami Lucio, trop naïf, trop pur, et surtout ne m'en veux pas si je ne peux te cacher ce soir, toi recherché par la police (le dernier chapitre du livre...) , tu comprends le monde change, ne soyons pas sectaire, l'avenir est aux cyniques et aux réalistes... (air connu).
Chirbes décrit parfaitement l'Espagne nouvelle en gésine, et ce livre m'a directement envoyé à "Crémation" son dernier opus qui sonde encore et encore les vices et les tares de la nouvelle Espagne démocratique. (note à venir...dans quelque temps...).