Petit pas ultérieur dans ma compréhension de cette "énigme" du pseudo Ajar; je me rapproche encore davantage de l'idée d'Andras de "la dépossession de soi" - je lui sais gré de l'injonction impérieuse de lire ce roman-ci! - , de même que je me convainc que le choix de cet autre pseudonyme relève non de l'épiphénoménologique mais d'un plan littéraire précis et accompli. Car enfin, alors qu'un narrateur commence habituellement son échafaudage par les jalons des personnages, dans Pseudo, Gary ne fait que jalloner... l'auteur (je réctifie: "l'Auteur"...). Il s'agit d'une démarche qui se situe, à mon sens, dans la lignée directe d'un Pirandello ou d'un Unamuno. Et l'Auteur, dans ces conditions, et là encore "Pirandello docet", ne peut donc qu'être/s'exprimer en tant que/se définir comme psychotique, dépossédé d'identité, et en même temps souffrant de son hypertrophie, persécuté par sa conscience d' "étant"... (aussi bien schizophrène que plutôt paranoïaque). Pour exemplifier ce côté littéraire, je voudrais garder en mémoire la citation suivante:
"Méfiez-vous. Les mots ennemis vous écoutent. Tout fait semblant, rien n'est authentique et ne le sera jamais tant que nous ne sommes pas, ne serons pas nos propres auteurs, notre propre oeuvre. Croyez-moi: j'étais déjà ça quand brillait Homère." (p. 74) Et cela pour l'expérience littéraire.
Pour la sincérité (j'insiste!) de la recherche de fond: la création du personnage-auteur me semble admirable de réalisme, notamment par rapport au langage - encore! - et à la reconstruction de la pensée éclatée du psychotique. (J'adore les représentations littéraires de l'insanité.) Je ne la confonds toujours pas (la sincérité) avec la pléthore de clins d'oeil à la biographie de Gary (Tonton Macoute); je m'étonne seulement que les critiques, par ailleurs tant à l'affût..., ne se soient encore doutés de rien après la parution de ce roman, pourtant si explicite!
Enfin, pour en revenir au Gary en chair et os, j'ai fait une petite découverte extra-textuelle: la métaphore du "caméléon qui devient fou sur un tissu écossais" ne vient pas d'Anissimov, mais elle avait été énoncée par Gary lui-même. Je pense qu'il l'explique encore mieux dans le passage suivant (que, cette fois oui, je n'hésite pas à considérer comme "probablement-ce-qu'il-y-a-de-plus-près-de-l'" autobiographique):
"Mais j'ai été repris par moi-même, je me suis récupéré, et il y eut droits d'auteur. J'avais deux personnages qui luttaient en moi: celui que je n'étais pas et celui que je ne voulais pas être." (p. 147)
J'sais pas vous, mais moi, j'trouve ça d'une beauté poignante, que seule peut avoir une confession... (et, incidentellement, dans laquelle il n'est pas difficile de s'identifier!)
Seule raison pour mon étoile manquante: dans certaines pages j'ai ressenti qu'Ajar s'usait déjà, qu'il s'épuisait, lui et sa recherche linguistique désormais au seuil de l'académisme: c'était juste que "ceci [fût] son dernier livre"...
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