Un square parisien est le seul endroit où des personnes de classe modeste, des deux genres, se sentent légitimées à se parler. Le dialogue entre un voyageur de commerce – en réalité un colporteur – et une jeune bonne fait toute la matière de ce livre, qui est scandé par l'apparition du petit garçon de cinq ans dont elle a la charge. Le dialogue, avec ses flux et reflux, ressemble aux ondes qui mouillent un rivage... rien ne se produit, la conversation et la compréhension mutuelle avancent et reculent alternativement, parce qu'elles sont fondées sur le non-dit.
Le thème est la possibilité, l'éventualité ou non, pour l'une et l'autre de ces « derniers des derniers », de se sortir de leur condition sociale. Aux yeux de la jeune femme de vingt ans, dans la France de 1955, aucune ascension n'est envisageable en dehors du mariage – d'une manière si essentielle qu'elle paraît tout à fait anachronique désormais. Et de cette unique perspective matrimoniale, telle une obsession, elle s'impose de ne se distraire pour aucune raison. L'homme, par contre, occulte sa solitude par le goût de l'itinérance : c'est dans une lointaine ville du Sud où le soleil couchant a illuminé des lions en cage qu'il a goûté à un éphémère bonheur. Ainsi, pour l'une le changement est conditionné à autrui, et de surcroît à « être choisie », pour l'autre l'habitude, l'absence d'ambition, mais surtout ce que, dans un ultime aveu, il définit de lâcheté le rendent très improbable.
Il s'agit d'un texte qui, du théâtre contemporain, possède à la fois l'ellipse entre les reparties, comme si le malentendu était toujours aux aguets, et l'immobilisme qui suggère que la véritable communication est ailleurs que dans le verbal : prétexte ou vrai besoin, peu importe. L'action aussi, sans être précisément niée, est suspendue dans le final ouvert.
J'avais l'intention de lire « Moderato cantabile » d'abord : une critique de cet ouvrage-là indique qu'il est opportun de le considérer comme le second volet d'un diptyque dont « Le square », publié trois ans auparavant, constitue le premier.
Cit :
« - Vous comprenez, Monsieur, vous comprenez, je n'ai jamais été choisie par personne, sauf en raison de mes capacités les plus impersonnelles, et afin d'être aussi inexistante que possible, alors il faut que je sois choisie par quelqu'un, une fois, même une seule. Sans cela j'existerai si peu, même à mes propres yeux, que je ne saurais même pas vouloir choisir à mon tour. » (pp. 69-70)
|