Il y a deux semaines Yachar Kemal est décédé. Auteur parmi les plus connus de la littérature turque en France, parmi les premiers traduits, ce grand aède de la plaine de l'ancienne Cilicie, chantre des épopées de la féodalité rurale turco-kurde a désormais acquis la reconnaissance de la position qui lui appartient : non d'emblème d'une littérature ou pis d'un pays tout entier, non d'un nobélisable manqué, mais celle d'un classique.
Dans cet esprit et en modeste hommage, je me suis attelé à la lecture de ce premier roman et premier volet de la tétralogie de Mèmed-le-Mince.
Ce personnage, vu sous l'angle épique, il est difficile de le considérer autrement que comme le héros archétypal équivalent de Robin des Bois dans le milieu latifundiaire de cette région anatolienne. Son histoire, tout en laissant le lecteur haletant, ne me semble pourtant pas aussi passionnante que le style, la langue, les dialogues, les descriptions. L'usage des répétitions mériterait à lui seul une étude particulière.
A noter aussi que ce roman a été traduit en français en 1961 (parution en 1955), à une époque donc où les traduct(eurs)-trices du turc n'étaient pas de langue maternelle française mais appartenaient à cette intelligentsia turque émigrée à Paris il y a longtemps. En particulier, alors que Münevver Andaç (compagne de Nâzim Hikmet, décédée en 1998) traduira ensuite pour Gallimard la quasi totalité des romans de Kemal - et certains de Pamuk, ce premier roman a été traduit par Güzin Dino (1910-2013), illustre philologue assistante de Erich Auerbach et épouse du peintre Abidin Dino, qu'elle suivit à Paris dès 1954. Ils étaient aussi amis de l'auteur. Cette traduction par une philologue émérite, si elle possède des côtés désuets, ne cesse de nous surprendre et devrait peut-être nous inspirer ; la magie de cette langue si envoûtante lui en est sans nul doute immensément redevable.
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