35 petites nouvelles, autant de petites gourmandises que l'on déguste avec délectation. D'Allemagne, du Chili, du Pérou, d'Italie et d'Espagne, Luis Sepulveda, ce grand voyageur, témoigne et donne la parole aux laissés pour compte.
« "J'étais ici et personne ne racontera mon histoire", avait écrit, quand ? une femme ? un homme ? L'avait-il fait en pensant à sa saga personnelle, unique, sigulière, ou peut-être au nom de tous ceux dont on ne parle pas dans les journaux, qui n'ont pour toute biographie qu'un passage oublié dans les rues de la vie ?
J'ignore combien de temps je suis resté devant cette pierre, mais à mesure que le soir tombait, je voyais d'autres mains frotter l'inscription pour éviter qu'elle ne fût recouverte par la poussière de l'oubli : une Russe, Vlaska, qui devant la carcasse desséchée de la mer d'Aral m'avait parlé de sa lutte contre cette folie qui avait culminé dans la mort d'une mer pleine de vie. Un Allemand, Friedrich Niemand - Frédéric Personne - qui avait été déclaré mort en 1940 et qui, jusqu'en 1966, avait usé ses semelles dans les ministères et d'autres temples bureaucratiques pour démontrer qu'il était bien vivant. Un Argentin, Lucas, qui, ecœuré des discours hypocrites, avait résolu de sauver les bois de la Patagonie andine avec l'aide de ses seules mains. Un Chilien, le professeur Gálvez, qui, dans un exil qu'il ne comprit jamais, rêvait de ses vieilles salles de classe et se réveillait les mains pleines de craie. […]
Eux tous et beaucoup d'autres étaient là, passant leurs mains sur les mots gravés dans la pierre, et j'ai su que je devais raconter leurs histoires. »
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