Sur un air de chachacha.
Maximilien rentre au palais reprendre les rênes du Mexique des mains de Charlotte. Devenu fun et primesautier, l'empereur de pacotille imagine fonder une dynastie, étendant ses possessions sur toute l'Amérique latine mais outre sa pathétique cécité politique, il est devenu syphilitique et repoussant. Pratiquer la méthode Coué pour se convaincre d'être un grand empereur est plus que dangereux quand la révolte des plus pauvres s'étend toujours davantage. Aux exactions de la soldatesque française répond la furia des insurgés. Napoléon III souhaite retirer ses troupes du guêpier mexicain. le bras armé de Maximilien volatilisé, quelle force est capable d'endiguer la déferlante des insurgés républicains de Benito Juarez ?
Le troisième volet, pénultième de la série Charlotte impératrice, ne déçoit pas, bien au contraire. le scénariste Fabien Nury sait construire une histoire plausible et donner corps aux états d'âme des protagonistes en alternant habilement les séquences intimistes et les suites de plans ouverts que le dessinateur Matthieu Bonhomme a su mettre en page avec maestria, usant à bon escient de cadrages cinématographiques où les échanges de regard sont éloquents.
L'ascension d'une princesse dans la haute société royale et sa chute vertigineuse depuis le Mexique sont lisibles à travers sa vie sentimentale donnée à voir en alternance. La solitude gangrène l'âme de la jeune femme et ses élans charnels sont bridés par la religion et les convenances sociales. Peu à peu, la belle et brillante Charlotte avance vers les ténèbres, la déréliction et la folie.

Charlotte porte la culotte.
Maximilien et Charlotte accostent au Mexique et entreprennent, en carrosse, sous bonne escorte, le lent voyage par des pistes poussiéreuses et des villages décrépits jusqu'à Mexico. Les rencontres sont bariolées, bouffonnes, grotesques et macabres. À destination, chacun fomente et intrigue pour asseoir sa place. Les caisses sont vides, la population est misérable mais les puissants mènent bon train de vie. Maximilien, idéaliste, velléitaire et ronflant délaisse vite les affaires de l'État pour la chasse aux papillons, le butinage des femmes faciles et l'absorption massive des nectars alcoolisés. Charlotte prend de courageuses mesures politiques en l'absence de son mari inconsistant et inconséquent mais elle réveille au passage une vieille misogynie larvée.
Le deuxième opus de la trilogie donne à voir les tourments et les frustrations qui assaillent l'impératrice dans des scènes troublantes qui ne dissocient plus le fantasme de la réalité. Confrontée à la terrible situation mexicaine, Charlotte saisit les enjeux politiques, économiques et humains pour agir en conséquence, sans se voiler la face. Entre un vide affectif intense et un isolement politique total, Charlotte combat corps et âme pour demeurer entière et gouverner avec humanité. Cette femme seule et délaissée est doublement impératrice.
Une nouvelle fois, les auteurs se complètent pour délivrer une œuvre puissante, didactique et fluide. le dessin de Matthieu Bonhomme relaie, continue et amplifie l'histoire de Fabien Nury. Les couleurs de Delphine Chedru soutiennent et augmentent l'intensité graphique et narrative. Les talents sont au diapason pour faire vibrer un récit humain et pathétique.

L'apprentissage de la solitude.
Il était une fois une belle princesse qui se maria et n'eût pas d'enfant tout de suite. Elle aurait pu s'étioler dans une prison dorée mais elle força son destin. Bien née et bien entourée, Charlotte, la fille du roi belge Léopold Ier, devait faire un mariage d'amour mais Maximilien d'Autriche, sous une apparence bonhomme et désinvolte, sous un vernis de culture et de bonnes manières, dissimulait des failles profondes et tortueuses. Avec le poids des contingences et le carcan du protocole, les élans et les envols allaient être plombés. Qu'importe ! L'histoire était en marche et le sort en était jeté.
Conteur exigeant et précis, Fabien Nury est redoutable pour rendre passionnant ce qui paraît a priori indigeste, la vie des monarques fin de siècle, dans les dorures et sous les lustres, les valses et les froufrous. Charlotte de Belgique aurait pu continuer à ne plus vivre dans la mémoire collective et à végéter in aeternum dans les oubliettes de l'histoire si le talent du scénariste ne l'avait mise brillamment en lumière. En voyant le monde à travers le regard de la jeune princesse, le lecteur plonge dans sa psyché et se charge d'empathie. Aux flonflons succèdent le ronron et l'abandon mais la force d'un caractère peut tordre un instant la destinée. Matthieu Bonhomme réalise des dessins au cordeau dans des mises en page savamment composées. Les cadrages ajustés densifient les échanges de regard, les expressions corporelles. La mise en couleur d'Isabelle Merlet fait danser les lumières et courir les ombres. L'aventure mexicaine qui s'ensuit dans le second tome devrait être captivante à suivre.