Pearl à rebours.
La tenancière de la Maison Fleury cherche aussi à élucider les meurtres qui touchent la maison close. Pearl, sa pensionnaire, vierge intouchable, semble concentrer la convoitise haineuse d'un cercle d'initiés. Edward Jenkins est le personnage ambigu de l'histoire qui navigue entre deux eaux. Intime de la mère maquerelle, introduit dans le cercle d'illuminés voulant sacrifier Pearl, indicateur de la police londonienne, agent secret, il pourrait détenir la clé de l'intrigue et faire la lumière sur une histoire alambiquée.
Gabriele di Caro réalise une nouvelle fois une illustration réussie courant sur les deux plats de la couverture de l'album. "Utopie", 3e tome de la trilogie, dénoue un imbroglio où le lecteur pouvait y perdre son latin, pris entre érotisme et ésotérisme, policier et fantastique avec plusieurs factions en lice. le lupanar est relégué au profit d'un dénouement politico policier qui emprunte des sentiers plus convenus. Les personnages troubles et les rebondissements du premier tome qui excitaient l'imagination ont laissé place à une histoire conventionnelle qui ne déçoit pas forcément mais qui n'emballe pas pour autant. le dessin de di Caro semble se relâcher au fur et à mesure, les visages s'esquissant de plus en plus. Si l'enthousiasme du début n'a pas totalement été douché, on peine un peu à garder ses repères et à trouver de la cohérence à l'ensemble, la dernière page tournée. Au final, la série prometteuse des débuts est peu concluante.

Le district de Whitechapel, dans les faubourgs londoniens, est le lieu de crimes théâtralisés et font écho à ceux du tristement célèbre Jack l’Eventreur à la fin du XIXe siècle. La maison close tenue par Madame Fleury devient le passage obligé des policiers quand une femme vient agoniser à son seuil. La nouvelle victime d’un assassin insaisissable fait partie d’une confrérie de monstres jadis exhibés dans les foires et depuis relégués aux confins de la cité. Les freaks aiguisent les appétits d’un riche commanditaire obsédé par l’idée de contrecarrer l’ascension des femmes dans la hiérarchie sociale et concomitamment leur prise du pouvoir associée à la relégation masculine. Pearl, la jeune vierge protégée et surveillée dans le lupanar semble être la clé de la quête ésotérique de l’organisateur des meurtres.
Le second volume de la trilogie en cours de parution ne faiblit pas, la trame policière prenant de nouveaux éclairages révélateurs sans rien affadir au passage. Le dessin de Gabriele Di Caro est toujours précis, habile et soigné même si la caricature point aux encoignures à l’exemple du faciès du commissaire Barnes avec ses dents de castor ou des envolées orgasmiques sur les visages « mangakaqués » des prostituées. Les outrances sexuelles sont le reflet de fantasmes masculins plutôt éculés. Néanmoins, les hommes n’ont pas la partie belle dans l’histoire : cyniques, niais, manipulateurs, racistes, brutaux, obsédés. Ils donnent le sentiment d’être tous manipulés, les policiers par le tueur, l’assassin par le commanditaire, les bourgeois par les prostituées. La force de la bédé est sous-jacente mais elle est bien là, avec l’avancée irrémédiable des femmes dans un milieu phallocrate lézardé de toutes parts.

Dans la banlieue londonienne, à la fin du XIXe siècle, la pauvreté et la surpopulation font le terreau de la débauche et de la délinquance. Jack l’Eventreur y a sévi. Un meurtre ignoble odieusement mis en scène vient d’être commis dans l’East End sur une « traîne-misère » et le commissaire Barnes, accompagné de l’inspecteur Reid, veut rapidement identifier le coupable afin d’éviter la vindicte populaire et l’hystérie collective. La maison close tenue par Madame Fleury concentre prostituées délurées et bourgeois en goguette, un bouge où fermentent toutes les concupiscences. Jenkins, haut-de-forme et redingote, vient y « honorer » la patronne. Il lui a aussi demandé de veiller scrupuleusement à la vertu de Pearl, introduite dans l’établissement, une jeune femme qui doit demeurer vierge pour une raison inconnue. Henry Lloyd, photographe spécialiste de cartes postales érotiques, propose à Madame Fleury un marché lucratif. Pearl est proposée comme modèle au photographe mais l’ingénuité de Pearl peut compromettre le succès de l’opération ou bien le démultiplier dans des directions insoupçonnées.
Le dessinateur et scénariste transalpin Gabriele Di Caro a su concocter une histoire policière à tiroir intrigante dans le milieu interlope de la prostitution. Si les scènes de sexe sont explicites et gentiment outrancières, elles n’occupent pas exclusivement le devant de la scène. Le lecteur peut parfois être surpris par les partis-pris de l’auteur quant aux attitudes des prostituées, physionomie (les fesses et les poitrines débordent) et comportement (la jouissance est à tous les étages). Le dessin frise parfois l’esquisse et la caricature alors qu’il est par ailleurs fouillé et précis notamment dans la reconstitution des décors d’époque. Une charge érotique se dégage du lupanar quand un charme puissant émane de Pearl. Prévue en trois tomes, l’histoire a le temps de se développer et de creuser ses personnages.