Dans son introduction à "Peau noire, masques blancs", Frantz Fanon explique que son ouvrage est une étude clinique, dont le but est d’analyser le cercle vicieux qui enferme noirs et blancs dans des rapports de sujétion générateurs d’incompréhension.
Il nous propose pour se faire de découvrir dans un premier temps "les différentes positions qu’adopte le nègre face à la civilisation blanche", pour ensuite développer les conséquences de cette confrontation sur la perception qu’a le noir de lui-même, et, par extension, de sa race.
Pour réaliser cette analyse, l’auteur s’appuie sur des cas qu’il a eu lui-même l’occasion de traiter, dans le cadre de l’exercice de sa profession de psychiatre aux Antilles, ainsi que sur des témoignages littéraires contemporains de la rédaction de son ouvrage relatifs à son sujet d'étude.
Le but de ce travail, en mettant au jour les mécanismes d’infériorisation du noir, est de le désaliéner, le sortir du reniement du soi acquis durant la colonisation.
"Il s’agit de savoir s’il est possible au noir de dépasser son sentiment de diminution".
Après des siècles de domination européenne (par le biais de l'esclavage puis de la colonisation), d'humiliation, de non reconnaissance de l'individu dans son intégrité, le blanc est parvenu à inculquer au noir la haine de soi et de ses semblables.
A la faveur des écrits (romans, livres scolaires, affiches publicitaires) et des images (cinémas) issues de la culture occidentale, il l'a de plus amené à se constituer une vision du monde blanche : aucune expression noire ne lui étant offerte, sa culture et son histoire étant oblitérées, l'indigène est lui-même anéanti, déstructuré en tant qu’homme. Il n’existe qu’avec et par le colon, qu'en tant que "négatif" du blanc.
Se conformant à l’image de nègre primitif, abruti, analphabète, qui lui a été servie, il adopte une attitude servile, d’éternel coupable.
Dans ce contexte, la seule solution pour s’humaniser est à ses yeux de "devenir blanc", par mimétisme, assimilation, par le biais notamment du langage (le créole est délaissé au profit du français) mimétisme qui suppose le rejet de ses semblables.
Frantz Fanon nous fait bien comprendre qu’à partir du moment où un peuple est colonisé, il n’est plus lui-même.
La colonisation a des conséquences économiques, sociales et psychologiques sur l’indigénat, et occasionne forcément une blessure absolue et profonde dans l’inconscient des masses colonisées.
Elle amène à une conception manichéiste du monde, les noirs et blancs représentant deux pôles en lutte perpétuelle. Cette lutte est reproduite dans la conscience du noir.
L'auteur réfute les théories qui prétendent que sentiment d’infériorité du noir serait inhérent à sa nature, et que les peuples colonisés éprouveraient un besoin de dépendance que le colon de se contente que d'assouvir... Il réplique que c’est le colon qui crée le colonisé, et précise que, d’après son étude, "aux Antilles, toute névrose, tout comportement anormal, tout éréthisme affectif est la résultante de la situation culturelle", et non d'un quelconque patrimoine génétique.
"L’infériorisation est le corrélatif indigène de la supériorisation européenne. Ayons le courage de le dire : c’est le raciste qui créé l’ infériorisé".
La lecture de "Peau noire, masques blancs" n'est pas spécialement facile : certains développements, exprimés d'un point de vue purement psychiatrique, m’ont échappée.
L'ensemble de l'argumentation de l'auteur n’en reste pas moins très intéressante, dans sa démonstration que le colonialisme n’a jamais été source de bienfaits pour l'indigénat. Elle permet de saisir une partie de la mesure des dégâts infligés par le joug européen à la fois sur les psychés individuelles et sur la conscience collective des peuples colonisés.
Le souhait de Frantz Fanon est de "ré-humaniser" le noir, de lui rendre son statut d’homme. Il doit pour cela se rapproprier sa propre histoire, sa propre culture, et, dans une dynamique d’ouverture au monde, la partager, et la faire connaître.
On pourrait lui reprocher de s'être arrêter à une analyse de la situation, sans proposer de véritable solution qui permettrait au noir cette réhabilitation...
...C’est pourquoi j'ai trouvé complémentaire et intéressant de lire ensuite "Les damnés de la terre", dans lequel l'auteur développe sa conception de la manière dont les peuples soumis à la domination occidentale doivent se défaire de cette domination pour redevenir des hommes à part entière...
..voir le billet suivant !!
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