« Je compte jusqu’à huit et je lui parle… »
Tout commence par un couple filmé en plan serré qui rate son dialogue en tentant d’improviser. S’ensuit la déambulation d’un jeune citadin lunaire que les chocs ne semblent pas perturber puis une déclaration d’amour au restaurant par chanteurs d’opérette interposés. Sans tambour ni trompette, le lecteur raccroche au jeune homme convoqué pour un entretien d’embauche en chute libre sans filet et ainsi de suite jusqu’à ce que Fabcaro se mette en scène en dessinateur critiqué par sa femme lui reprochant l’incohérence des scénettes sans queue ni tête. L’auteur s’énerve alors, expliquant qu’il ne peut pas mieux faire compte tenu des impondérables de l’existence dont la fameuse clôture de Pompon à réparer.
Les premières cases dessinées et les dialogues échangés retiennent immédiatement l’attention par leur drôlerie et leur véracité. Il est facile de tisser une ligne directrice malgré une incohérence de façade. Pour entrer en résonance avec les autres et trouver un équilibre salutaire, il est nécessaire de prendre le temps de l’écoute et du dialogue. Fabcaro, sous un faux air dilettante, intrique avec talent des tranches de vie qui touchent et font sens à travers un double niveau de lecture (approches fictionnelle et autobiographique). L’histoire est maîtrisée et monte en force pour se conclure sur une ouverture biface, pleine de promesses ou désabusée. Bien des détails significatifs et des expressions parlantes renforcent un récit dessiné d’autant plus réussi qu’il traduit avec finesse et humour le mal-être contemporain de l’aliénation et de la solitude.