J'ai lu Le prince dans le cadre d'une lecture commune, me disant que cela me motiverait à entrer dans cette oeuvre politique, de la Renaissance, par l'auteur qui a donné son nom au machiavélisme... Bref, que d'arguments qui me faisaient y aller à reculons.
J'ai donc été pour le moins surprise de découvrir une oeuvre si claire, si moderne, si intemporelle! Je ne regrette absolument pas de l'avoir enfin lue.
Resituons brièvement : Machiavel, ambassadeur florentin, a côtoyé les grands de son époque ; il a pu observer les Borgia père et fils, Louis XII, Ferdinand le catholique... et ce sont désormais les Médicis qui règnent sur Florence lorsqu'il écrit Le prince. Il dédie son oeuvre à Laurent.
Machiavel y analyse les stratégies politiques de ceux qui ont fait l'Histoire, en comparant certains illustres hommes de l'Antiquité à ceux qui étaient ses contemporains. Il tâche de comprendre pourquoi certains ont réussi là où d'autres ont échoué et en déduit une certaine ligne de conduite à tenir pour conquérir le pouvoir et le garder.
Puisque les hommes n'ont pas de morale et n'incarnent pas le bien, ceux qui les gouvernent n'ont pas non plus à suivre coûte que coûte le chemin de la morale. Est-ce machiavélique ou simplement le propre du détachement scientifique, qui observe sans s'émouvoir? Est-ce réellement pour aider Laurent de Médicis à affirmer et à étendre son pouvoir, ou est-ce une mise en garde pour le peuple?
Le fait est que je n'ai pas trouvé Machiavel si machiavélique! Certains de ses conseils sont amoraux, c'est certain ; mais n'est-ce pas simplement quitter le voile de l'hypocrisie pour parler de la politique telle qu'elle est, comme machine de pouvoir? La plupart des grands hommes politiques de l'Histoire n'ont-ils pas appliqué les préceptes décrits? C'est plutôt l'adjectif "cynique" qui m'est venu à l'esprit.
Quelques petits exemples :
Sur la nécessité de savoir être méchant :
"La distance est si grande entre la façon dont on vit et celle dont on devrait vivre, que quiconque ferme les yeux sur ce qui est et ne veut voir que ce qui devrait être apprend plutôt à se perdre qu'à se conserver ; car si tu veux en tout et toujours faire profession d'homme de bien parmi tant d'autres qui sont le contraire, ta perte est certaine. Si donc un prince veut conserver son trône, il doit apprendre à savoir être méchant, et recourir à cet art ou non, selon les nécessités".
Pourquoi il vaut mieux être craint qu'aimé, si on ne peut obtenir les deux :
"Vaut-il mieux être aimé que craint, ou craint qu'aimé ? Je réponds que les deux seraient nécessaires ; mais comme il paraît difficile de les marier ensemble, il est beaucoup plus sûr de se faire craindre qu'aimer, quand on doit renoncer à l'un des deux. Car des hommes, on peut dire générale ment ceci : ils sont ingrats, changeants, simulateurs et dissimulateurs, ennemis des coups, amis des pécunes ; tant que tu soutiens leur intérêt, ils sont tout à toi, ils t'offrent leur sang, leur fortune, leur vie et leurs enfants pourvu, comme j'ai dit, que le besoin en soit éloigné ; mais s'il se rapproche, ils se révoltent. Le prince qui s'est fondé entièrement sur leur parole, s'il n'a pas pris d'autres mesures, se trouve nu et condamné. Les amitiés qu'on prétend obtenir à force de ducats et non par une supériorité d'âme et de desseins, sont dues mais jamais acquises, et inutilisables au moment opportun. Et les hommes hésitent moins à offenser quelqu'un qui veut se faire aimer qu'un autre qui se fait craindre ; car le lien de l'amour est filé de reconnaissance : une fibre que les hommes n'hésitent pas à rompre, parce qu'ils sont méchants, dès que leur intérêt personnel est en jeu ; mais le lien de la crainte est filé par la peur du châtiment, qui ne les quitte jamais."
Je n'émets que deux seuls bémols : le premier est que j'ai dû souvent stopper ma lecture pour aller me renseigner un peu sur tel ou tel personnage, qui sont contemporains de l'auteur qui peut donc y faire référence sans avoir à le présenter, mais que moi-même je ne connais que de nom ; le second est que le traducteur de ma version a opté pour garder le "tu" italien là où le français dirait plutôt "on" ; pas un réel problème mais ça m'a un peu perturbée, parfois.
Cela dit, je maintiens mon avis selon lequel Le Prince est vraiment une oeuvre intéressante à lire. Outre le fait que cette oeuvre est d'un accès bien plus facile que je le pensais, j'ajoute qu'elle ne fait que 140 pages dans mon édition... pas de quoi être effrayé, donc.
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