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[Carnets du grand chemin | Julien Gracq] |
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Franz
Sexe: Inscrit le: 01 Déc 2006 Messages: 1992 Localisation: Nîmes
Âge: 64
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Posté: Sam 16 Fév 2008 14:53
Sujet du message: [Carnets du grand chemin | Julien Gracq]
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On peut déguster la route et apprécier les paysages rencontrés avec Julien Gracq à travers des textes courts, ciselés, juxtaposés autour d’un itinéraire géographique et intérieur. Le lecteur chemine avec un écrivain remarquable qui réactive des souvenirs oubliés, des villages écartés, des odeurs enfouies à l’aide une écriture fluide, limpide, précise, en s’appuyant avec légèreté sur des œuvres littéraires marquantes, en utilisant avec discrétion un vocabulaire de géographe éclairé. Il s’agit d’un voyage contemplatif que le souvenir reconstruit. L’histoire, la géographie et la poésie s’entrecroisent. Un paysage peut se métamorphoser sous le pinceau du soleil, se nimber d’une atmosphère surréelle, s’inscrire sur une cartographie intime et dessiner une géographie mythique, ainsi des gorges du Tarn « Sous le soleil rasant du soir, un coup de baguette soudain touche le paysage : les courtines des escarpements supérieurs, atteintes perpendiculairement par le soleil jaune, s’embrasent en gloire, allumant un flamboiement d’oriflammes ; le creux des étroits, d’où monte un parfum de fraîcheur humide, repose déjà tout entier dans l’ombre bleue ».
On peut aussi marquer le pas en cours de route et considérer tous ces paysages recomposés par la mémoire et l’écriture comme des coquilles vides, finement ouvragées sur le dessus mais vertigineusement creuses en dessous, à l’image d’un ivoire magistralement sculpté mais exempt de la vie qui l’a constitué. Louis Poirier, en complet veston, Gracq un peu aux coutures. Manquent des dialogues, des instantanés, des énervements, de la sueur d’homme… L’auteur semble préférer les écureuils aux êtres humains. Cela pourrait se concevoir s’il avait travaillé toute sa longue vie à capitaliser les noisettes à la Caisse d’épargne : « Il y a peu de récréation à attendre, avant un long moment, du stylite [de l’écureuil] attablé là en solitaire : la durée de la dégustation d’une pomme de pin avoisine une bonne demi-heure ; seule une panique soudaine peut amener le lâcher de la grenade verte qui percute alors lourdement le sable croûté ». La littérature à l’estomac peut soulever un peu le cœur surtout quand Gracq remarque : « …rien de plus hideux, à la fin d’un banquet bien arrosé, que les rires vaginaux de vieillardes émoustillées ». Peut-être fait-il le rapprochement entre une bouche édentée et un vagin béant, tous deux gloussant de concert ? Chacun ses visions !
Pourtant, nonobstant le malaise ressenti face au vide, Les carnets du grand chemin exercent un charme ancien vacillant mais enveloppant. Dans la cornue de sa mémoire, Gracq distille ses paysages (qui sont aussi souvent les miens) pour en extraire une quintessence enivrante dont les mots précieux exacerbent les subtilités. Comme l’auteur (en voiture), je reviens souvent (à pied) vers « les hautes surfaces nues – basaltes ou calcaires – du centre et du sud du Massif : l’Aubrac, le Cézallier, les planèzes, les Causses… C’est comme un morceau de continent chauve et brusquement exondé qui ferait surface au-dessus des sempiternelles campagnes bocagères qui sont la banalité de notre terroir. Tonsures sacramentelles, austères, dans notre chevelu arborescent si continu, images d’un dépouillement presque spiritualisé du paysage, qui mêlent indissolublement, à l’usage du promeneur, sentiment d’altitude et sentiment d’élévation ».
On pourrait se laisser séduire indéfiniment par cette prose ouvragée au vocabulaire d’une richesse quasi inépuisable et d’une précision d’orfèvre, ce forgeron savant usant de l’or des mots.
La seconde partie des Carnets débute juste après l’évocation des paysages maritimes de Sion, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, en Vendée, lieu de villégiature de l’auteur. Elle est consacrée à des réflexions autour de la littérature (Proust, Stendhal, Chateaubriand…), de l’histoire, des souvenirs de guerre, du militantisme ramolli au Parti communiste breton, des années d’étudiant, d’enseignant, des rapports avec le surréalisme, l’écriture... La lucidité et la culture de l’auteur s’inspirent et s’enrichissent au fil de la plume et de la pensée. Ces carnets éventent quelques secrets de fabrication et mettent en perspective l’œuvre entière de l’écrivain. Il n’y a plus qu’à se plonger dans Lettrines, En lisant en écrivant ou La forme d’une ville afin de pénétrer davantage l’atmosphère songeuse et la géographie fabuleuse d’un auteur précieux.
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Dernière édition par Franz le Lun 03 Mar 2008 12:48; édité 6 fois |
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amiread1
Sexe: Inscrit le: 16 Mar 2007 Messages: 812 Localisation: Chateaudun
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Posté: Dim 17 Fév 2008 23:05
Sujet du message:
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De ta note de lecture (très belle), j'ai avant tout retenu mon cher Franz , qu'a l'encontre de Gracq,qui privilégiait l'automobile, tu parcourais (tu parcours...) avec la seule force de tes jambes ces contrées exotiques que sont l'Aubrac,le Cézallier,les Causses... tu as oublié la Margeride...
Je suis , et un fou de marche et un amoureux de la Lozère, ce qui explique ma réaction à ta note gracquienne ; d'ailleurs ,à lire celle çi, Gracq ne poétise t-il pas trop, ou meme systématiquement, toute "vision" ? En fait la question est superfétatoire, l' on ne peut imaginer Gracq relatant ses voyages avec le style de Sylvain Tesson, des Poussin ou de Jean Rolin... et puis le réel "recréé" par le poète est toujours plus "vrai" que tous les comptes rendus de Géo, Terre sauvage,etc...
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Franz
Sexe: Inscrit le: 01 Déc 2006 Messages: 1992 Localisation: Nîmes
Âge: 64
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Posté: Dim 17 Fév 2008 23:32
Sujet du message: Le vin des cavernes
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Bonsoir amiread1,
Non, non, je n'oublie pas la Margeride, ni le Gévaudan, ni les Baronnies, ni le Diois, ni le Mont Lozère, ni le plateau des Gras, ni le Tanargue, ni... Je n'étais pas plus tard qu'aujourd'hui sur le Larzac, au pont de Nant (les balles n'y sont plus données ; la chasse est en partie terminée). Oui, je marche sans relâche depuis maintenant trois décennies et je ne me lasse pas. Gracq fait vroum-vroum. Jaccottet contemple la montagne de Lance sans la parcourir. Leur poésie s'en ressent. Ils possèdent les gerbes des mots mais il manque l'étincelle qui ferait un grand brasier de leurs visions.
Bonne semaine.
Franz
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Message |
amiread1
Sexe: Inscrit le: 16 Mar 2007 Messages: 812 Localisation: Chateaudun
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Posté: Ven 22 Fév 2008 22:50
Sujet du message:
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Ta réponse me fait chaud au coeur et me réjouis. Quoi de plus jouissif que de parcourir cette vieille peau de lézard et de s'abandonner aux visions, odeurs, et bruits ... La marche aiguise la conscience et élargit son champ d'action; l'on peut souffrir atrocement des pieds et se sentir ouvert au grand OUI nietzschéen.De toute façon la marche et la littérature (et la poésie alors...) c'est une vieille histoire (Rousseau, Flaubert, Chateaubriant...), mais ne faisons pas d'ostracisme ; les écrivains "vroum-vroum" comme tu écris, n'écrivent pas systématiquement de mauvais livres....! je pense à Sagan (quoi que...) avec ses décapotables, à Roger Nimier, à Vailland, à Nourissier avec ses Jaguar... Tiens que des écrivains "de droite"... sauf Vailland mais lui c'est genre : aristo "de gauche" !
Enfin j'ai relevé cette parenthèse révélatrice de ton "amour" de la chasse et des chasseurs qui est aussi le mien.... courage! la fin est pour bientot, encore une semaine .
En mai je vais randonner 15 jours dans la sierra de Cazorla en Espagne.
Bonne soirée Franz.
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Franz
Sexe: Inscrit le: 01 Déc 2006 Messages: 1992 Localisation: Nîmes
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