Jeanjean, Lefranc, duo improbable, la mer en feu, intrigue pâlichonne, Axel Borg, méchant ringard de service ; les discours, les comportements datés et stéréotypés n’incitent pas à la lecture de l’aventure du journaliste Lefranc publiée au tout début des années 1960. Pourtant, au moment même où l’album s’ouvre, la magie opère à cœur dès la première vignette. Est-ce l’odeur de l’encre et de la colle qui vient chatouiller la nostalgie et réveiller les rêves d’antan, les couleurs, la qualité du papier, le hall de la gare Montparnasse sans trépidation, les vieux trains verts pas encore bondés et bombés ? Tout cela est certainement emmêlé ! Il est probable que les lecteurs de mangas d’aujourd’hui ne se retrouveront jamais dans les aventures plan-plan de Jeanjean. Le cœur de cible des éditions Casterman est fait de quinquagénaires relativement argentés désireux de retrouver leurs émotions enfantines. Qu’importe la flasque pourvu qu’on ait la soûlerie ! Jeanjean est kidnappé par un magnat du pétrole car son oncle a mis au point un procédé capable de transformer l’eau de mer en carburant. Lefranc va tout faire pour dénouer les filets, les fils, les filatures et les filouteries. Arnold Fisher, le richissime homme d’affaires qui tire toutes les ficelles ne sera pas appréhendé par la police. Borg (peut-être en faisant un double axel) parviendra à s’extirper de la mer en flammes. Le professeur Le Gall va y laisser la vie mais son neveu Jeanjean n’en sera pas plus affecté que ça. Il conclut l’histoire ainsi : « Peu importe !... avec toi [Lefranc] j’irais jusqu’au bout du monde ! » Le monde est méchant mais des âmes pures veillent. Il y a un réel plaisir à lire ces bandes dessinées imprimées à l’ancienne. Le tirage de luxe d’aujourd’hui était une édition banale hier. Le moindre journal avait une qualité d’impression qu’il est impossible de retrouver sous le papier glacé actuel. La comparaison pourrait se faire entre les multiplexes, le lait bio, les cd audio de maintenant et les salles de cinéma, le lait en bouteille, les disques à microsillons de naguère. Le goût des choses s’est affadi et les prix se sont envolés. Lefranc souffle sur les braises et ça réchauffe agréablement dans un recoin du caveau cérébral.

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