Dorante vient d'obtenir de son père de passer de la noblesse de robe (il étudiait le droit à Poitiers) à la noblesse d'épée. Mais à la vue de la beauté de Clarice (dont il ignore le prénom, et ce détail aura son importance), et sous les yeux stupéfaits du valet Cliton qui le revoit pour la première fois depuis longtemps, il prétend revenir de la guerre contre l'Allemagne pour se rendre intéressant. Mais qui est-elle ? Un valet dit que la plus belle des deux est sa maîtresse, Lucrèce. Quoi de plus subjectif qu'un tel critère ? Dorante va être persuadé qu'il a parlé à Lucrèce, il va se vanter auprès d'Alcippe d'avoir donné une soirée à une maîtresse, or Alcippe croit que Clarice en a été, il va refuser à son père la proposition de mariage qu'il lui fait en prétendant qu'il s'est déjà marié à Poitiers... Or les "informations" prodiguées par ce menteur vont circuler... Les quiproquos vont s'amplifier.
Les programmes en changement perpétuel pour le Baccalauréat de Français nous apporte une moisson de nouvelles pièces. Le Menteur est l'une d'elles et je n'en avais même jamais entendu parler. Il s'agit d'une comédie et, en la lisant, j'ai été étonnée de mesurer à quel point, dans le même siècle, dans le même mouvement, mais à une génération d'écart, les approches peuvent être différentes entre deux auteurs.
Pierre Corneille fustige aussi les mœurs de son siècle, les hommes qui se poussent du col, les parents qui tentent encore de régir la vie matrimoniale des enfants, les enfants qui jouent au jeu dangereux de la coquetterie, de la duplicité, l'inconstance dans les sentiments y compris d'amitié. Il reprend les accents et la construction pathétique de Don Diège dans la douleur de Géronte, le père de Dorante mais cette fois pour déplorer les déportements de son fils ; je ne peux m'empêcher de penser aussi à Dom Louis, le père du Dom Juan de Molière, pour qui noblesse et vertu sont indissociables. De même, Géronte exprime son humiliation, sa honte de la souillure subie sur son nom quand il découvre les affabulations de Dorante, dont lui-même et les autres sont victimes. Mais le style de Corneille est plus sobre, moins pittoresque que celui de Molière
L'idée de la pièce vient de
La Verdad sospechosa de Juan Ruiz de Alarcòn, un dramaturge espagnol de la génération précédente et Corneille prétend l'avoir rigoureusement transcrite.
Admirons quoi qu'il en soit l'esprit de nuance du Siècle qui lui interdit d'utiliser son titre (première entorse à la lettre de la pièce qu'il prétend avoir copiée) comme la mise au pilori d'un seul face à tous. En effet, ni Clarice, ni même Lucrèce ne sont de blanches colombes : la rouerie prend ces jeunes filles bien comme il faut, les valets passent très vite de la stupéfaction à la roublardise. Les pères seuls semblent épargnés ( l'âge de Corneille l'y inciterait-il ?), peut-être un peu Alcippe...
Citations :
Isabelle
Ainsi vous quitteriez Alcippe pour un autre,
De qui l'humeur aurait de quoi plaire à la vôtre ?
Clarice
Oui, je le quitterais ; mais pour ce changement
Il me faudrait en main avoir un autre Amant, (...)
Mon humeur sans cela ne s'y résout pas bien,
Car Alcippe après tout vaut toujours mieux que rien (...).
Clarice
De le croire à l'aimer la distance est petite,
Qui fait croire ses feux faire croire son mérite,
Ces deux points en amour se suivent de si près,
Que qui se croit aimée aime bientôt après.
Lucrèce
La curiosité souvent dans quelques âmes
Produit le même effet que produiraient des flammes. (IV, 9)
Géronte
Ô vieillesse facile ! Ô jeunesse impudente !
Ô de mes cheveux gris honte trop évidente !
Est-il dessous le ciel père plus malheureux ?
Est-il affront plus grand pour un cœur généreux ?
Dorante n’est qu’un fourbe, et cet ingrat que j’aime,
Après m’avoir fourbé, me fait fourber moi-même,
Et d’un discours en l’air qu’il forge en imposteur,
Il me fait le trompette et le second auteur !
Comme si c’était peu pour mon reste de vie
De n’avoir à rougir que de son infamie,
L’infâme, se jouant de mon trop de bonté,
Me fait encor rougir de ma crédulité !
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