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[Le Labyrinthe des égarés | Amin Maalouf]
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Posté: Sam 20 Juil 2024 23:08
MessageSujet du message: [Le Labyrinthe des égarés | Amin Maalouf]
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Préparé dans une actualité où les signes sont nombreux d'un retour à une bipolarité conflictuelle entre l'Occident et ses antagonistes, laquelle ne saurait se réduire au conflit russo-ukrainien, cet essai d'envergure s'appuie sur un concept et sur une méthode très classiques en Relation internationales. Le concept, c'est celui de « puissance hégémonique », la méthode est historique.
Il se trouve que, étant donnée la suprématie européenne occidentale issue du colonialisme mondial et de la modernité liée à la révolution industrielle, les pays qui ont essayé d'atteindre un statut de puissance hégémonique ont dû défier cette suprématie « blanche », européenne, capitaliste et colonialiste, aujourd'hui définie simplement comme « occidentale », qui constitue le fondement de notre civilisation. Depuis le XIXe siècle, ces pays « challengers » ont été au nombre de quatre : le Japon de l'ère Meiji, la Russie soviétique, la Chine depuis la République populaire, auxquelles, même si cela semble contre-intuitif, il faut ajouter les États-Unis d'Amérique, qui depuis leur indépendance et jusqu'à obtenir la position de première superpuissance planétaire (grâce aux victoires dans les deux guerres mondiales ainsi qu'à la disparition de l'Union soviétique), ont aussi endossé le rôle de défiant de la suprématie établie, notamment en appuyant la décolonisation contre les pays d'Europe.
Sont ainsi étudiées les étapes historiques du combat que chacun de ces pays a entrepris pour s'émanciper d'abord d'une position de dominé vis-à-vis du pouvoir hégémonique en place, ensuite pour se poser comme alternative. À l'heure actuelle, il semble évident que le défi le plus significatif en vue d'une future hégémonie provient de la Chine, forte de ses nouvelles alliances dont notamment celle avec la Russie – laquelle a précédé de quelques semaines à peine le début de la campagne militaire russe contre l'Ukraine.
Ces histoires de défis, dans leurs péripéties et leurs fluctuations – je pense principalement au Japon – ne doivent pas être considérées de manière linéaire, ni leur aboutissement n'est univoque. La conclusion de Maalouf fait état d'un indéniable déclin de l'hégémonie occidentale actuelle, qui « prend parfois les allures d'une véritable faillite politique et morale ; mais tous ceux qui combattent l'Occident et contestent sa suprématie, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, connaissent une faillite encore plus grave que la sienne. » (pp. 12-13). Peut-être la solution à terme se situe-t-elle dans le dépassement de la recherche d'une puissance hégémonique afin d'envisager la solution des problématiques globales qui caractérisent le monde « épuisé » que l'auteur a déjà présentées dans au moins deux essais antérieurs (_Le Dérèglement du monde_ et _Le Naufrage des civilisations_). Mais dans ce travail-ci, il n'est question ni d'anticipation ni de solutions : à peine le lecteur est-il quelquefois appelé à imaginer comment le monde aurait pu se présenter si, dans un moment où une décision cruciale fut prise, il en avait été autrement... L'usage que l'on peut faire des « leçons tirées de l'Histoire » est l'objet d'un débat interminable (et un peu stérile) qui se situe en amont des Relations internationales. Le rappel des régularités et des singularités de ce même phénomène de défi d'une suprématie préexistante possède par contre le mérite indiscutable d'ôter l'illusion que nous serions en train de vivre, dans notre situation contemporaine, un affrontement inédit devant lequel nous ne disposerions d'aucune boussole pour nous orienter.
[Je dois tirer un sincère coup de chapeau à mon ancienne formation universitaire de premier cycle, bien solide en Histoire internationale : au bout de plusieurs décennies, je me suis trouvé encore à l'aise dans les chapitres sur le Japon et sur l'Union soviétique, assez préparé aussi sur Mao Zedong (du « Grand bond en avant » à la « Révolution culturelle »), un peu moins sur les États-Unis ; surpris enfin de n'avoir trouvé aucune mention du mouvement des Non-alignés, qui à mon sens aurait dû avoir une place significative voire fondamentale dans plusieurs chapitres.]



Cit. :


1. « Les partisans de la modernisation au sein du monde musulman n'avaient, jusque-là, aucun autre modèle à suivre que celui de l'Occident. Et cela a toujours posé, hier comme aujourd'hui, des problèmes difficiles à résoudre. Prendre exemple sur ceux contre lesquels on cherche à se protéger, et contre lesquels on va probablement devoir se battre un jour, cela nécessite une acrobatie mentale exténuante, et une certaine duplicité. À l'inverse, prendre exemple sur un pays lointain, avec lequel on n'a pas de contentieux historique, et qui doit faire face, de surcroît, aux mêmes adversaires, cela apporte à l'imitateur une sérénité stimulante. C'est ce qui explique, en partie du moins, la facilité avec laquelle les peuples dominés pas les puissances européennes avaient spontanément embrassé la cause du Japon.
Pendant des années, chaque mouvement réformiste ou révolutionnaire émergeant au sein des peuples l'Orient s'est référé à l'exemple de l'ère Meiji. Et plusieurs révolutions importantes se sont produites sous cette impulsion. Les exemples sont innombrables, venus d'Afghanistan, du Siam, du Tonkin, de Java ou encore de Birmanie – où le moine bouddhiste U Ottama, figure emblématique de la lutte anticoloniale, décida tout simplement de s'établir au Japon, afin de s'imprégner pleinement de son expérience, avant de revenir chez lui et de se battre contre les Anglais. » (pp. 62-63)

2. « Quand les historiens se penchent aujourd'hui sur les procès-verbaux des réunions tenues au Palais impérial à la veille de la Seconde Guerre mondiale, ils sont frappés par un constat simple mais effarant : les dirigeants japonais ont décidé de jeter leur gant au visage de l'Amérique sans jamais croire qu'ils pourraient sortir gagnants de cet affrontement.
Le thème qui revenait sans arrêt dans leurs délibérations, c'était celui de la position américaine concernant les territoires conquis par les troupes japonaises en Chine, en Corée, et dans le Pacifique. Plus d'une fois, l'empereur s'en est inquiété auprès de ses collaborateurs, et leur réponse a toujours été, en substance, que jamais Washington ne reconnaîtrait ces conquêtes. Une évaluation parfaitement réaliste, et qui aurait dû, en toute logique, susciter une autre interrogation : est-ce qu'en faisant la guerre aux Américains, on pourrait leur faire changer d'avis ? Là encore, la réponse ne pouvait être que négative. Jamais le Japon ne pourrait vaincre les Américains, ni les contraindre, par la force des armes, à reconnaître ses conquêtes. Mais dans ce cas, n'était-il pas absurde de leur faire la guerre ? » (p. 77)

3. « L'ennemi, ce n'était plus le Blanc, ni l'Européen, c'était le capitaliste, qui exploitait et opprimait les Noirs et les Jaunes mais aussi une multitude de Blancs. Tant que le marxisme demeura l'idéologie dominante chez les révolutionnaires du monde entier, l'appartenance raciale des individus et des groupes était rarement mise en avant.
De ce fait, le défi russe à l'Occident fut en mesure d'acquérir, dans un grand nombre de pays, riches ou pauvres, colonisateurs ou colonisés, un immense retentissement. Pour la première fois dans l'Histoire, une doctrine laïque et internationaliste se propageait sous tous les cieux. À certains moments, elle sembla même en voie de triompher. » (p. 98)

4. « L'une des principales caractéristiques de la révolution d'Octobre, et l'une de ses grandes réussites, indéniablement, c'est d'avoir provoqué un gigantesque débat d'idées qui a dominé la vie intellectuelle de la planète entière pendant une bonne partie du vingtième siècle. En Europe, notamment, la plupart des intellectuels avaient été séduits, à un moment ou à un autre, par la pensée marxiste, et beaucoup d'entre eux avaient fait un bout de chemin avec les partis communistes de leurs pays. Les dirigeants soviétiques, y compris Staline, n'étaient pas indifférents au sort de ces mouvements, et ils écoutaient souvent les voix des écrivains, des peintres, des architectes et des savants renommés, même s'ils suivaient rarement leurs conseils. Or, quand on se penche sur l'itinéraire de ces personnages, on constate que l'écrasement de l'insurrection hongroise de 1956 a constitué, pour beaucoup d'entre eux, un grand moment de rupture.
Pourquoi cet événement, plutôt qu'un autre ? Sans doute parce que "le paradis des travailleurs" venait tout juste d'obtenir, avec la disparition de Staline, une chance de se racheter, on pourrait même dire une toute dernière occasion de retrouver sa crédibilité morale, et qu'il l'avait aussitôt gaspillée. » (p. 146)

5. « Quand on se penche sur l'époque où les peuples du tiers-monde se battaient pour leur émancipation politique, on constate que l'Union soviétique bénéficiait alors d'un immense crédit moral. Et pas seulement chez les autocrates que séduisait le parti unique ; des personnages éminemment respectables, tels Julius Nyerere ou Nelson Mandela, ont constamment exprimé leur reconnaissance pour le soutien indéfectible qu'ils sont reçu.
Aucun moment historique n'illustre mieux le rôle ambivalent de l'Union soviétique, puissance à la fois impérialiste et anti-impérialiste, que ce qui s'est passé à l'automne de 1956. Deux crises majeures avaient éclaté, cette année-là, l'une en Europe, avec l'insurrection hongroise, l'autre au Proche-Orient, avec la nationalisation, par Nasser, du canal de Suez. Par une curieuse concordance de dates, les deux crises atteignirent ensemble leur paroxysme dans les derniers jours d'octobre et les premiers jours de novembre. De sorte que les troupes soviétiques entreprirent d'écraser la révolte de Budapest au moment même où les troupes britanniques, françaises et israéliennes lançaient leur assaut contre l’Égypte. (pp. 152-153)

6. « Si la principale faiblesse de la Russie soviétique fut son incapacité à bâtir un système économique efficace, et celle du Japon impérial son incapacité à sortir d'une vision strictement nationaliste de son rôle, que se passera-t-il le jour où un grand pays d'Orient parviendra à combiner une perspective globale inspirée du marxisme avec une efficacité modernisatrice comme celle de l'ère Meiji ?
Une telle question a cessé d'être une simple hypothèse d'école depuis que la Chine a renouvelé, et à très vaste échelle, le miracle économique déjà accompli par d'autres pays d'Asie, tout en continuant à se réclamer du "socialisme scientifique", fût-il "à caractéristiques chinoises". Ce troisième défi lancé à la suprématie de l'Occident pourrait se révéler bien plus sérieux encore que les précédents, d'autant qu'il est porté par une nation particulièrement nombreuse. » (p. 183)

7. « Avec le passage du temps et le dévoilement des choses à venir, la coalition [entre Mao Zedong et Tchang Kaï-chek] obtenue au forceps par "le petit maréchal" [Zhang Xueliang], en 1936, apparaît comme une préfiguration de ce qui allait se produire, à l'échelle du monde entier, à partir de 1941 : une alliance paradoxale entre le démocraties occidentales et les communistes contre les puissances de l'Axe. Pour certains historiens, d'ailleurs, la Seconde Guerre mondiale a commencé en réalité dès le 7 juillet 1937, quand l'armée japonaise, qui occupait déjà la Mandchourie, s'est lancée à la conquête de l'immense Chine. » (p. 256)

8. « […] Il ne serait pas déraisonnable d'affirmer que l'approche incohérente de la question raciale au lendemain de la guerre de Sécession a finalement eu des conséquences tragiques pour l'humanité entière, pas seulement pour les États-Unis.
S'agissant de l’Égypte, par exemple, il faut bien constater que la "fenêtre de tir" qui s'était entrouverte pour elle, au lendemain de la Grande Guerre, puis qui s'était refermée avec la "trahison" de Wilson, ne s'est plus jamais présentée.
La Révolution de 1919 aurait pu mener le pays, sous l'égide de Saad Zaghloul, sur la voie d'une modernité éclairée, et socialement libérale. Cette voie s'est définitivement bouchée dans les décennies suivantes. Ceux qui la prônaient ont perdu toute crédibilité, et ils ont dû quitter la scène sous les huées, laissant leur place à des mouvances radicales, sectaires, intolérantes, parfois hostiles à l'Occident et parfois soumises à sa volonté, et presque toujours autoritaires.
[…] Mais pour ceux qui ont grandi, comme moi, dans des pays sinistrés, où l'aspiration au progrès, au développement, à la démocratie, à la dignité, a constamment été entravée, les occasions perdues ne sont pas juste des péripéties malencontreuses. L'Histoire n'offre pas toujours des "séances de rattrapage", et si l'on ne réagit pas au bon moment de la bonne manière, des pays peuvent s'en trouver anéantis, des civilisations entières peuvent sombrer dans la régression, des populations innombrables finissent par baigner dans le désespoir, dans la rancœur, dans la haine des autres et dans la haine de soi. » (pp. 368-369)

9. « C'est certainement le cas de l'Asie orientale qui, tout en intégrant divers éléments de la civilisation occidentale, apporte à celle-ci des "correctifs" nécessaires. Les succès enregistrés par les sociétés de tradition confucéenne en matière d'économie comme en matière d'éducation font d'elles des sources d'inspiration, et des exemples à méditer attentivement ; y compris en Occident, où l'on a trop tendance à considérer comme accessoire et superflu, voire bêtement "folklorique", tout ce qui vient d'ailleurs.
Il y a notamment une question qui me paraît fondamentale : celle du rapport à la religion. Dans les pays de tradition , qu'ils soient chrétiens, musulmans ou juifs, ainsi que dans le monde hindouiste, ce rapport se révèle de plus en plus pernicieux. Surtout en raison du lien malsain qui s'y est établi entre religion et identité. […] Les déchaînements identitaires, en particulier ceux qui s'appuient sur une référence divine, empoisonnent l'existence de la plupart des sociétés humaines, et ils ne cessent de s'aggraver.
À l'inverse, dans les pays d'Asie orientale, l'identité ne s'appuie pas sur la religion. Cela ne suffit pas à les protéger du fanatisme et des poussées d'intolérance, mais cela les prémunit contre l'ingrédient le plus toxique des haines de notre époque. » (pp. 420-421)

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