Les éclaireurs.
Bien que le titre fasse référence aux "Illuminations" d'Arthur Rimbaud, "Les illuminés" sont péjorativement connotés et renvoient à des toquards avinés ou pire à des abrutis qui ont croisé le divin. Rien de tel pourtant dans cette rencontre magnifique et unique entre trois solitudes : Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et Germain Nouveau. Il est impossible d'imaginer ce que Verlaine et Rimbaud ont pu se dire lors de leurs errances et de leurs ivresses mais on peut être sûr que ces échanges atteignaient des cimes vertigineuses. L'idée de croiser les trajectoires des poètes et de juxtaposer une double narration sur une même page apporte de la richesse et de la complexité tout en restant parfaitement lisible. Germain Nouveau est introduit dans les cercles intellectuels parisiens par l'entremise de Paul Cézanne mais les deux météores, Rimbaud et Verlaine, sont déjà passées. Il faudra les tracer et Nouveau a l'opiniâtreté et la foi de la jeunesse. Il va aborder Rimbaud humblement et continuer l'aventure poétique avec l'homme aux semelles de vent. Le recueil des Illuminations lui doit beaucoup car il a réuni les fragments, circonscrit les fulgurances et probablement que son enthousiasme a motivé Rimbaud à conclure son aventure poétique dans le panache de l'inachèvement. Les dessins de Jean Dytar à la gouache et au pinceau sont nimbés de brume ou auréolés de lumière. Légèrement floutés, ils dégagent une impression de flottement, de lévitation et de rêve. Dans des teintes vertes ou sépia, le graphisme est en phase avec l'atmosphère de la fin du XIXe siècle. Il en porte les effluves et les émotions qu'on aura pu y inscrire. Si Verlaine et Nouveau sont plus facilement croquables avec leurs chevelures et leurs barbes qui les caractérisent, Rimbaud demeure incernable tant son "visage d'ange en exil" ne souffre aucune approximation. Certaines planches sont bouleversantes. On ne peut oublier le visage de Rimbaud dans le train pour Londres ou encore lorsqu'il porte son fusil sur l'épaule, accompagnant sa caravane d'armes en Abyssinie. Avec ses partis pris pertinents, sa narration concise et respectueuse, sa force émotionnelle maîtrisée, le roman graphique est une splendeur.
Extrait :
Étranger partout. Personne pour me comprendre...
J'aimerais être libre, monsieur le consul.
Mais je crains de n'être que seul. (p. 65)
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