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["J'ai brodé mon coeur sur les montagnes" | Gurb...]
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apo



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Posté: Mar 18 Juin 2024 16:47
MessageSujet du message: ["J'ai brodé mon coeur sur les montagnes" | Gurb...]
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["J'ai brodé mon coeur sur les montagnes" | Gurbetelli Ersöz]

Comme suite logique de ma lecture de l'essai de Carl Aderhold sur l'histoire des guerrières, j'ai pris en main ce témoignage d'une combattante kurde du PKK, décédée par un tir de char en octobre 1997 à l'âge de 32 ans, après deux ans de guérilla. Je m'attendais à trouver dans ce journal inachevé et publié posthume d'abord en traduction allemande (en 1998) puis en Turquie, dans sa langue originale, en 2014 : soit une description de la vie d'une femme dans le maquis, soit des réflexions sur l'armée féminine (devenue importante) au sein du PKK et sur sa propre expérience, soit a minima un compte rendu des opérations de combat ou bien du contexte politique dans lequel il se déroule, en particulier par rapport aux populations civiles environnantes et/ou aux questions géopolitiques relatives. De cela, il y a très peu sinon rien du tout. Par contre, le lecteur est submergé d'emblée par la rhétorique insupportable et anachronique qui doit certainement caractériser l'endoctrinement du PKK, fait de slogans marxisants mal digérés, de culte de la personnalité du Chef, de l'injonction à une constante et impitoyable autocritique et dénigration de soi sous prétexte d'« analyse politique », injonction aussi à proférer des serments de détermination à se corriger, à s'améliorer « politiquement et militairement », à se rendre digne du sacrifice absolu de sa vie en l'honneur des « martyrs » dont l'on trouve référence à chaque page... Martyrs justement : la motivation de la jeune militante, anciennement journaliste, à se livrer à la lutte armée est à l'évidence la mort au combat, l'année précédente, de son frère aînée Orhan, auquel elle s'adresse sans cesse en se référant à lui par son nom de bataille, le Dr. Agir ; sa sœur cadette Rewşen est à l'évidence animée par les mêmes sentiments, puisqu'elle rejoindra l'autrice sur le champ de bataille après avoir suivi, avec quelques mois de décalage, la même formation militaire qu'elle auprès de l'Académie du PKK basée en Syrie. Ce deuil impossible semble avoir un caractère quasi obsessionnel dans ces pages (dont le résultat littéraire n'est pas aussi qualitatif que la force de l'émotion humaine que l'on devine).
Il est certain que ces carnets publiés posthumes contenaient des annotations prises sur le vif, au quotidien, sans aucun travail de réecriture en vue de publication ni même de mise en forme cohérente : en effet, ils se composent de notes et de textes destinés aux rapports que la combattante devenue très vite commissaire politique était tenue à transmettre au Leader du Parti ou à présenter dans les réunions collégiales, d'impressions rares et décousues sur ses conditions de vie, d'un certains nombre de fragments poétiques, et même de lettres reçues d'autrui ou envoyées à des camarades. Seule la datation permet d'apercevoir la chronologie de l'expérience de la guérillera : d'abord la marche épuisante pour se rendre sur le premier terrain d'opération, vers la rivière Zap et dans les grottes et au sommet des cimes environnantes ; de là, est mentionnée une logue épidémie de paludisme, une retraite tactique suite à une perte de position, puis une reconquête de celle-ci et sans doute une avancée de la ligne de front, dans un engagement de forces évidemment beaucoup plus important aussi bien de la part du PKK que de ses adversaires : l'armée turque et une organisation kurde ennemie mais aussi, à un moment donné, l'aviation iranienne. Le récit est brusquement tronqué, naturellement. Le grand nombre de personnages qui sont à peine mentionnés (par leur nom de bataille et la ville d'origine, et rarement aussi avec leurs noms civils entre parenthèses), le flou sur les opérations sont d'autres indices qu'aucun soin n'était apporté à rendre la compréhension fluide à un lecteur venant de l'extérieur : bien au contraire, on peut deviner une certaine volonté de dissimulation, au cas où le manuscrit serait tombé dans des mains ennemies... Les lieux ne sont pas décrits hormis sous le prisme du stéréotype idéologique de l'enthousiasme patriotique (cf. le « paradis du Pays du Soleil » - le Kurdistan, ses ruisseaux, ses montagnes, sa végétation, jusqu'aux rudesses climatiques idéalisées...).
La traduction française, soutenue ou financée par des institutions suisses, qui de toute évidence a été réalisée par quelqu'un dont le français n'est pas la langue première, présente elle aussi de si nombreuses maladresses par excès de littéralité (voire des erreurs de syntaxe fréquentes) que la compréhension même du texte est parfois douteuse – à moins de se contraindre, pour ceux qui le peuvent, à l'exercice toujours incertain d'imaginer les phrases dans la langue d'origine...
En conclusion, pour ceux qui ne seraient pas déjà (idéologiquement) acquis aux agissements du PKK, l'action armée de cette organisation ne prend pas du tout les contours d'une guerre héroïque, et l'on peut tout au plus compatir, devant le sourire radieux de la jeune femme représentée sur la couverture, éteinte prématurément, certes, mais exactement comme elle l'avait voulu...



Cit. :


1. « À la lumière du Congrès National des Femmes du Kurdistan et du Ve Congrès qui se tient sous la haute présidence du Chef du Parti, nous, les femmes, qui sommes déterminées à gagner là où nous avons perdu, avons pour cela bousculé notre réalité qui renvoyait "les reflets de l'ennemi", grâce à l'organisation du YAJK [la branche féminine du PKK] et par la constitution d'une armée. Et à la question "Comment vivre ?", nous répondons par "Comment devenir une armée ?" et nous sommes déterminées et insistantes pour être les représentantes de cette réponse.
En somme, et selon la conclusion du Chef du Parti selon laquelle "Le meilleur appel à la guerre est dans le style d'action d'une fille libre", nous avons la volonté de devenir l'attraction et la force motrice de cette guerre en atteignant en pratique tout d'abord des relations libres, motrices de valeurs essentielles : pouvoir de la pensée et de l'organisation, pouvoir idéologique, politique et politicien, pouvoir militaire, pouvoir esthétique, pouvoir de création, de relation sur la base de l'égalité-liberté, de l'appropriation de sa propre identité en instaurant l'attractivité de son propre genre.
Dans notre pays paradisiaque, le Kurdistan, le plus grand cadeau de liberté que nous a offert la direction du Parti est la création de l'armée des femmes. Nous voulons voir notre propre réalité s'installer avec la ferme détermination d'éliminer la notion de faiblesse accolée à la femme dans notre pays, et de faire des femmes des déesses de la guerre égales à la beauté de la Mésopotamie, en inscrivant cette vision du monde à chaque instant de notre quotidien et dans les profondeurs de nos âmes afin de vaincre l'ennemi, en bonnes représentantes de ce mouvement et toujours dévouées à la cause de notre Chef de Parti.
Dur cette base, dans la 11e année du Sursaut du 15 août, l'armée des femmes a l'objectif de gagner la guerre d'abord en notre âme et conscience, nous renforcer, nous équiper matériellement, et devenir catalyseurs et exécutifs principaux de notre lutte.
Saluons avec force la Direction du Parti qui nous a libérées à travers cette militarisation pour cette marche commune d'instauration du pouvoir. [...] » (12 août 1995, pp. 55-56)

2. « Frapper la République de Turquie au Sud. Puis le plan est de constituer une nouvelle assemblée de front avec les forces qui veulent agir à nos côtés dans le Sud [Kurdistan syrien/Rojava?] en unissant Botan et Zagros. Dans cet objectif, le Conseil de la présidence est en réunion depuis une semaine au motif que les décisions du Ve Congrès n'ont pas encore été mises en pratique. L'organisation de toutes les activités et les opérations sur le terrain ont été modifiées ; nous patientons pour la mise en pratique, d'un jour à l'autre. Hier, la camarade Sakiné, du Conseil Central, que je viens de rencontrer, est arrivée et elle a tenu une réunion de deux heures. Dans le Sud, il y a une force de mille cinq cents femmes, liée au YAJK. Ils discutent de la manière dont on devrait se coordonner et s'organiser afin que cette force puisse prendre une place active dans la guerre.
Pour être honnête, j'aurais voulu aussi participer à ces réunions. Je crois qu'une partie des camarades masculins y ont pris part. Si j'avais siégé au Quartier général, j'aurais pu. En cette période d'instauration du pouvoir, être active au sein de l'appareil est mon plus grand souhait. » (13 août 1995, pp. 59-60)

3. « Zap a été le premier endroit où j'ai séjourné sur le chemin de mon pays, ce pays qui m'a tant manqué durant toutes ces années. J'ai été confrontée à la réalité de ma patrie. J'ai appris la structure féminine, c'est-à-dire ma propre réalité. J'ai suivi jour après jour la liquidation du YAJK au Zap. Je me suis promenée deux mois malade au Zap.
[…] C'est ici, au Zap, que j'ai entendu le martyre des compagnons que j'avais vus la veille, pour la première fois. J'ai couru sous les bombardements et les opérations de l'ennemi. J'ai écouté les balles tirées contre l'ennemi.
Au Zap, j'ai rencontré le QG Central du Parti, j'ai fait la connaissance de plus de dix camarades du comité central.
[…] J'ai suivi une formation avec cinq cent personnes dans un refuge à vingt mètres du Zap. J'ai été témoin des 2e et 3e réunions centrales du Zap. Il a accueilli la conférence du YAJK. À présent, le Zap est une garnison, un lieu pour la guérilla.
[…]
Au Zap, j'ai vu la beauté.
Au Zap, j'ai compris mon genre, et appris à m'aimer en tant que femme.
Au Zap, j'ai vu le rôle de la femme dans la guerre ainsi que la domination masculine.
Au Zap, j'ai participé à la 1ère Conférence nationale des femmes, à la plate-forme de la liberté dans les Montagnes libres. J'ai été témoin de la lutte des classes et de sexes de plus de trois cents femmes guérilleras dont deux cent vingt déléguées et j'ai écouté leurs cris de libération et leurs idéaux.
Au Zap, j'ai couru sans arrêt tout le long de cet hiver et j'ai révélé ma force physique. J'ai vu les amitiés, les compagnons et j'ai expérimenté les multiples facettes de la guerre de classe. […] On m'a attribué la mission de suppléance du comité central pour la libération de la femme. J'ai entrepris cette tâche avec la détermination d'aimer mon genre et de devenir une combattante passionnée pour accomplir cette mission sainte, qui a du sens.
[…]
Au Zap, je suis restée avec ma chère Rewşen [sa sœur cadette]. […]
Au Zap, j'ai discuté avec le LP [Leader du Parti], j'ai vécu l'enthousiasme des attentes du LP. J'ai ressenti la pression, car il s'est même intéressé à ma santé. » (26 avril-17 mai 1996, pp. 136-137)

4. « Le plus important, mon Président, c'est la première fois que je remarque la relation et vois la ressemblance de l'attitude vers l'organisation et l'attitude envers la femme, et j'en suis vraiment effarée. Il existe une possession de l'autre au niveau individuel, un ajustement de la femme selon ses propres désirs, ne lui rien permettre qui soit contre la volonté de celui qui veut la posséder. Je suis convaincue que l'homme qui a adopté une attitude juste vis-à-vis de la femme adoptera parallèlement une adhésion adéquate à l'organisation. Il y a un rejet de l'évolution de la femme et même une crainte à cet égard. Il existe un mépris, un déni, une volonté d'en faire une remplaçante, de la cantonner seulement à la responsabilité des tâches quotidiennes, ne pas la faire participer aux activités plus générales. Et plus exactement, une volonté de modeler lui-même sa propre femme. » (8 mai 1997, pp. 192-193)

5. « Conformément à l'instruction du LP, mis à part Çiyayê Sîpî, aucune de nos forces n'a abandonné sa zone. Elles sont restées sur leur terrain, elles se sont cachées, elles ont frappé : elles ont traqué l'ennemi.
[…]
C'est la première fois que nos forces ont connu [su] et appris à rester autant sur ce terrain.
Notre chaîne de commandement, hormis quelques personnes, a joué son rôle et a déployé ses forces.
Dans notre structure, dès maintenant la lucidité a été sérieuse, la confiance a été gagnée par la structure de commandement alors que notre force est nouvelle à 80%. Dans ce sens, dès maintenant une unité d'armée est constituée. […]
[...]
Notre force féminine a participé à la guerre à tous les niveaux, elle n'est pas restée en retrait. En laissant de côté les problèmes personnels, une concentration sur les problèmes de guerre de toute la force a été observée et aucun manque sérieux de communication n'a eu lieu. […] Les forces féminines ont pris place pratiquement dans toutes les opérations et les affrontements, elles ont été source de courage dans notre force générale.
Surtout la tradition de résistance de Hewler s'est aussi produite dans notre province en la personne de la camarade Seyran, cela a donné beaucoup de courage à notre force générale. Par conséquent, la voie à d'importantes évolutions est ouverte. » (12 juin 1997, pp. 217-218)

6. [Excipit:] « Lorsque j'écoute le Leader, j'ai envie de voler, de me confronter. Pour un tel cœur, rester même une seconde sans rien faire est pour moi une trahison. Ce sont mes émotions actuelles. Ce n'est pas le problème qu'il n'y ait pas de mission, ils ne me désignent pas non plus pour que je puisse aller combattre. Pourquoi le suis-je mise dans cette situation ?
[…]
La guerre a commencé. Je sais que, dans cette guerre, comme toutes nos forces, les camarades femmes vont jouer leur rôle avec pour objectif de devenir des Zîlan, elles vont marquer par leurs actions, leurs plus beaux sentiments.
Des jeunes femmes guérilleras remplies d'ambition et de passion de s'embellir et se libérer vont indispensablement exploser contre la trahison du collaborateur qui joue actuellement le rôle d'une perdrix chantant d'une très belle voix.
Je suis remplie de la passion de créer et me battre, je suis armée de la vengeance. Je veux devenir une bombe et me faire exploser au milieu de ces traîtres. Je dois trouver cette occasion. Je dois réussir. Dans la création de cet environnement de vie et de liberté, je dois prendre part en offrant mon sang, mon existence.
(8 octobre 1997 – Zap – Sergele)

Et par la suite...
S'écoulant du filtre du temps
Ensemble
Que ce soit notre serment
Nous déchirerons la tristesse noire et l'obscurité
Serment
À la tradition,
à la terre
aux eaux et à l'amour... »

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