Cet essai pose la question des manières dont l'existence de guerrières tout au long de l'Histoire pose un défi à la répartition des rôles de genre, et spécifiquement à l'interdit presque universel que « celles qui donnent la vie puissent l’ôter », impliquant donc l'exclusion des femmes des armées. L'auteur étudie un corpus qui recouvre l'ensemble du monde, sur la période de l'Histoire contemporaine, c'est-à-dire depuis la Révolution française. La raison de ce choix réside sans doute dans l'apparition de motivations d'ordre éthique (ou a minima idéales) dans les guerres nationalistes et citoyennes (ou bien loyalistes à la royauté et à la religion), puis d'indépendance et/ou révolutionnaires. Mais ce n'est qu'avec la Seconde Guerre mondiale – et encore avec des différences d'effectifs considérables selon les pays belligérants et des réponses opposées à la question de la participation des femmes au combat – que la présence féminine dans les bataillons cesse d'être individuelle, sous forme d'un ou de plusieurs personnages de guerrières connues et reconnues comme des héroïnes dotées de leur propre identité, pour devenir un phénomène collectif. Jusqu'alors, la singularité de chaque soldate, son parcours ainsi que le contexte historique et géographique spécifique dans lequel chacune évolue tend à révéler les particularités de ses propres motivations et de son caractère plutôt que de permettre des généralisations sociologiques sur les conséquences sur le genre que de telles exceptions provoquent dans la société.
Cependant, il apparaît d'intéressantes régularités. Si les idéaux qui poussent les femmes a prendre part à la lutte armée sont « neutres », c'est-à-dire identiques à ceux des hommes qui s'engagent du même côté, notamment l'idéal de l'aspiration à la liberté, chez les combattantes de tout temps s'est posée aussi, de façon concomitante, l'aspiration à l'égalité avec les hommes, à travers l'exercice du combat armé et particulièrement grâce à leur appropriation de l'ethos guerrier masculin. Souvent, dans les époques les plus anciennes, étant donné que l'entrée dans les rangs était clandestine et imposait le travestissement de son sexe, il est possible de déceler des aspirations personnelles à transitionner vers le genre masculin, que ce soit pour des raisons psychologiques ou simplement pour le confort de vivre en position masculine dominante – jouissant notamment de l'écart des niveaux de rémunération des professions réservées aux hommes, notamment militaires.
Parmi les autres régularités, l'on note qu'effectivement durant la belligérance les femmes jouissent très généralement d'une amélioration très significative de leur statut, d'un sentiment d'acceptation voire d'union avec le corps combattant, parfois même d'une métamorphose en héroïnes post mortem ; par contre, dès que la paix revient, la société patriarcale reprend aussitôt le dessus, et le statut des anciennes combattantes se dégrade honteusement, le sexisme sévit avec encore plus de violence qu'auparavant, sans aucun égard pour celles qui ont contribué à l'effort de guerre si elles sont survivantes, et ce même de nos jours et même si les combats sont victorieux. Les conquêtes féministes par effet de la guerre s'avèrent donc toujours extrêmement éphémères...
Lorsque les actions guerrières sont de nature révolutionnaire, liées per se à une aspiration progressiste, notamment les insurrections marxistes qui comportent toujours un volet féministe au nom de l'égalité, et de plus en plus à l'heure de la convergence des luttes entre anti-capitalisme, indigénisme, écologie et féminisme, la problématique de la présence des femmes combattantes parmi les guérilleros s'est également déclinée au quotidien dans la répartition des tâches d'intendance, dans les hiérarchies de commandement ainsi que dans la sexualité au sein de l'unité de combat. Que les luttes aient eu lieu dans des contextes relativement plus égalitaires ou bien au contraire au sein de sociétés particulièrement traditionalistes et patriarcales, il semble que nulle part ces problématiques n'aient été résolues convenablement et définitivement : d'ailleurs le sexisme au sein du militantisme politique est un sujet sur lequel j'ai également lu quelques ouvrages récemment.
L'ouverture des armées nationales aux contingents féminins, même Tsahal, conserve un fond de sexisme a minima sous forme de quotas d'effectifs dans les postes de commandement et toujours de réticences à accorder une parité effective au sein des corps d'élite et dans le combat en première ligne.
L'ouvrage, je répète, possède le mérite de l'amplitude du corpus, et il est de surcroît très agréable à lire. Cependant ceux qui y recherchent surtout des biographies de guerrières seront sans doute déçus par le survol ; et ceux qui recherchent une étude de genre de nature sociologique, ne serait-ce que sur l'évolution de la représentation de la femme en armes dans le temps, le seront nécessairement également.
Table [avec contextualisation et appel des cit.] :
Introduction : S'émanciper par les armes ? [cit. 1]
1. « Leurs visages voilés par la fumée de la poudre » [Révolution française – Félicité et Théophile Fernig dans l'armée des Girondins]
2. « Un fléau terrible détruit nos armées » [Révolution française – soldates républicaines]
3. Le temps des braves [Guerres napoléoniennes – Thérèse Figueur vs Nadejda Dourova. Cit. 2]
4. Des guerrières à l'heure du nationalisme [Après 1815 – Éléonore Prochaska et Franziska Scanagatta]
5. L'« entrain endiablé » des insurgées haïtiennes [Sanité Belair et l'indépendance d'Haïti]
6. Le temps des égéries [Laskarina Bouboulina et l'insurrection grecque contre les Ottomans]
7. À la tête de la révolte des cipayes [La Rani de Jhansi (Lakshmî Baî) contre les Britanniques]
8. Sœurs d'armes [Sarah Edmonds (alias Franklin Thompson) dans la Guerre de Sécession]
9. À l'heure des guerres indiennes [Buffalo Calf Road, Lozen (« Jeanne d'Arc apache ») et autres « squaws » contre les colons du Far West]
10. Sur les barricades parisiennes [Adélaïde Valentin, Louise Michel et les « pétroleuses » de la Commune de Paris. Cit. 3]
11. L'âge d'or des Mino [Tata Ajachè et autres « Amazones du Dahomey » (actuel Bénin)]
12. Les colonelles de la révolution mexicaine [Amelia (devenue Amelio) Robles, Petra Herrera, Valentina Ramírez Avitia et les autres guerrières de Zapata]
13. Le temps des espionnes [Émilienne Moreau, Edith Cavell, Louise de Bettignies jusqu'à Mata Hari : la Première Guerre mondiale invente les espionnes]
14. Le temps des « Jeanne d'Arc » [Autres héroïnes de la Grande Guerre. Cit. 4]
15. D'une révolution l'autre [Maria Botchkareva : les femmes russes dans les Révolutions de Février et d'Octobre. Cit. 5]
16. On ne naît pas combattante, on le devient... [Wanda Gertz et l'interprétation psychanalytique des femmes guerrières (par Magnus Hirschfeld et Helene Deutsch). Cit. 6]
17. La Longue Marche des Chinoises [Des femmes avec Mao]
18. Miliciennes sur le front [Mika Etchebehere, Dolores Ibárruri « Pasionaria », Agustina de Aragón : des femmes sur les deux fronts de la guerre civile espagnole]
19. La première guerre féminine [La Seconde Guerre mondiale et la mobilisation féminine d'envergure : « Les femmes n'appuient pas sur la gâchette », ou bien si ?]
20. Les Soviétiques en première ligne [Ludmila Pavlitchenko « Lady of Death », les « sorcières de la nuit » : « Des guerrières d'un genre nouveau »]
21. Confessions d'une snipeuse [Idem : Roza Chanina, tireuse d'élite soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale]
22. Une Résistance au féminin ? [Les femmes de la France Libre. Cit. 7]
23. Les résistantes juives des ghettos [Spécifiquement les 'kashariyot' du ghetto de Varsovie]
24. Partizanka et andartissa [Résistance féminine yougoslave et grecque]
25. De retour au foyer [L'après-guerre des soldates et l'exception yougoslave]
26. Guerrières aux cheveux longs et 'moudjahidate' [Combattantes anti-coloniales au Vietnam et en Algérie]
27. Le temps des guérilléras [Nicaragua (Front sandiniste), Pérou (Sentier Lumineux), Sri Lanka (Tigres tamoul), Népal (Armée populaire népalaise), Colombie (FARC)]
28. « Ne te rends pas, ne te vends pas, ne capitule pas » [Quand l'insurrection se mêle au féminisme et à l'indigénisme : en particulier les femmes du Chiapas au Mexique]
29. À l'heure des terroristes et des kamikazes [ETA, Brigades rouges, IRA, RAF, Action Directe, jusqu'aux femmes kamikazes d'Al-Qaïda, Daesh et Boko Haram]
30. Des soldats comme les autres ? [Féminisation des armées de métier : exemples des États-Unis et de Tsahal. Cit. 8]
31. Les « Femmes libres » du Kurdistan [Asia Ramazan Antar, surnommée l'« Angelina Jolie kurde ». Cit. 9, 10]
Cit.
1. « […] l'activité guerrière a été jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle la fonction la plus haute dans l'échelle des rôles masculins. Le monopole militaire revêt ainsi une importance décisive dans les rapports sociaux et entre les sexes. Pour les sociétés patriarcales, il s'agit avant tout du contrôle de la force, donc du pouvoir, entraînant l'éviction des femmes des armées.
Pendant très longtemps, deux discours ont prédominé sur les guerrières. Le premier renvoie aux Amazones, ce peuple barbare tant redouté des Grecs, formé de femmes vivant entre elles. Homère les qualifie d'"anti-hommes", Aristote de "tueuses d'hommes". Toutes celles qui transgressent l'interdiction des armes sont aussitôt affublées de ce nom […] Aux yeux des hommes, l'Amazone cesse d'être femme, cet être "naturellement" fragile et plein de compassion, pour devenir une virago qu'il faut vaincre et civiliser, c'est-à-dire marier et rendre mère.
À cette image négative s'oppose une autre, positive celle-là, dont Jeanne d'Arc représente l'archétype. Dès sa mort, elle devient un modèle pour d'autres femmes soldats. Au XIXe siècle, à travers le monde, on ne compte plus les combattantes baptisées du nom de la guerrière du XVe siècle. […] Les "Jeanne d'Arc" sont de jeunes femmes, vierges (on retrouve l'invariant anthropologique), qui prennent les armes sous l'injonction d'une volonté supérieure. […] L'important est que ces femmes n'agissent pas de leur propre chef mais au nom d'une entité – Dieu, la nation ou la patrie – qui permet aux hommes de les accepter en leurs rangs sans que ne soit remis en cause l'ordre établi.
Entre ces deux pôles, Amazones et Jeanne d'Arc, ennemies des hommes ou à leur service, les guerrières n'existent pas. » (pp. 14-15)
2. « C'est que les conflits qui agitent l'Europe durant la Révolution et l'Empire, pendant plus de vingt ans, ont modifié en profondeur le profil du soldat. L'armée française impulse cette transformation : le citoyen volontaire cède la place au conscrit qui demeure au service de longues années.
Au sein des régiments, au cœur des campements, des marches et des batailles se forge une nouvelle socialisation avec ses propres codes, auxquels Dourova comme Figueur doivent s'adapter. Sans doute à cause de leur différence de milieu, Sans-Gêne, issue des classes populaires, et Dourova, d'extraction noble, n'y réagissent pas de la même manière. […] Si elle ne cache pas son identité féminine, Sans-Gêne se plie cependant à la discipline militaire, adopte la mise vestimentaire et les codes des autres soldats, se fondant parmi eux. […] Pour être intégré dans la troupe, il faut savoir boire, ce que fait à merveille Figueur et qu'évite de son mieux Dourova, et supporter le langage cru, les chansons paillardes, les plaisanteries salaces. La Russe avoue même avoir failli pleurer la première fois qu'elle y a été confrontée.
Au même titre que les exercices visant à l'endurcir, cette sociabilité militaire doit servir à faire du conscrit un combattant dont le modèle idéal est le grognard napoléonien, aussi entreprenant sur le champ de bataille qu'auprès des femmes. La moindre remise en cause de cet ethos est aussitôt perçue par chaque soldat comme une menace contre sa valeur militaire. » (pp. 55-57)
3. « Avec les incendies qui embrasent Paris lors de la Semaine sanglante, un nouveau personnage féminin fait son apparition : la pétroleuse. Les rumeurs sur les femmes ayant mis le feu aux maisons s'étalent dans les journaux. La description en est toujours la même. La communarde utilise comme arme le pétrole qu'elle cache dans un bidon de lait, ce lait nourricier qui cède la place au combustible mortel, comme pour mieux souligner l'inversion des valeurs maternelles. Elle est le plus souvent accompagnée par ses enfants, pointant là encore la dénaturation de la maternité chez la pétroleuse.
Une fois les barrières de leur sexe franchies, la sauvagerie de ces femmes n'a plus de limite. Leur violence dépasse celle des hommes. Aux yeux de leurs adversaires, les communardes sont des monstres. "Nous ne dirons rien de leurs femelles, par respect pour les femmes à qui elles ressemblent – quand elles sont mortes", écrit Alexandre Dumas fils.
Le seul procès de pétroleuses en septembre 1871 a beau tourner court, faute de preuves, cela n'empêche pas le mythe de s'installer durablement dans l'imaginaire social. Chaque militante révolutionnaire est désignée par ce terme dont les féministes se verront souvent affublées. » (p. 137)
4. « La Première Guerre mondiale marque un retour en force dans les médias de l'image de la guerrière du Moyen-Âge. Son nom est donné à toutes celles qui prennent les armes, telle Émilienne Moreau, la "Jeanne d'Arc de Loos". Dans le cas français, cette résurgence de Jeanne d'Arc permet de mobiliser les énergies autour d'une figure connue de l'Histoire de France, au panthéon des héros enseignés à l'école communale. Celle qui passe pour avoir sauvé le royaume en 1429 face aux envahisseurs a été l'objet d'une intense bataille mémorielle avant-guerre entre les catholiques qui rejettent la politique de laïcité de la République et les républicains qui tentent de fédérer la nation autour du régime. Sainte ou fille du peuple, les deux faces de cette héroïne se rejoignent durant la guerre de 1914 pour sceller l'union sacrée et le ralliement des catholiques à la République. » (p. 187)
5. « Si elles sont autant à s'engager, c'est que la Révolution de Février a fait en quelques semaines de la Russie le pays le plus avancé au monde en matière de droits des femmes. Elles obtiennent le droit de vote, l'accès à la fonction publique avec des salaires identiques aux hommes. Le divorce civil est instauré.
Des associations de "femmes patriotes" se créent dans les grandes villes. "Notre devoir citoyen nous appelle non seulement à remonter le moral chancelant de nos troupes, lance Anna Chabanova, la présidente de la plus importante organisation, mais aussi, s'il le faut, à rejoindre leurs rangs comme volontaires pour insuffler à nos braves soldats cette énergie qui les poussera à passer à l'offensive victorieuse." Et de réclamer une loi sur la conscription des femmes. Les sources montrent la grande variété d'origines sociale et géographique des femmes qui rejoignent les bataillons. » (pp. 197-198)
6. « Il [Magnus Hirschfeld] ne remet pas en cause le fait que la fonction guerrière soit le propre de la virilité, mais soutient que cette dernière n'est pas l'apanage des hommes. Il ramène ainsi l'engagement des combattantes à une interprétation psychologique. Leur patriotisme, leurs convictions révolutionnaires ou leur amour de la liberté ne sont que des manifestations de leur désir de travestissement pour être en accord avec leur véritable sexe.
La même absence de contextualisation des rôles assignés à chaque sexe se retrouve chez la psychanalyste Helene Deutsch. Elle est l'une des premières femmes médecins, se spécialise dans la psychiatrie et devient assistante dans une clinique de Vienne. […] C'est dans ce cadre qu'elle reçoit une légionnaire polonaise. Le jeune femme âgée de dix-huit ans s'est engagée comme infirmière avant de réussir grâce à un stratagème "à changer de sexe apparent et à devenir soldat". […]
[…]
Deutsch note qu'elle possède des caractères sexuels secondaires masculins tels que l'absence de poitrine ou la présence d'une fine moustache. La légionnaire "se sentait inférieure en tant que femme, exagérait sa virilité et entretenait maints rêves sur les actions héroïques qui la rendraient célèbre et compenseraient son manque de charme féminin". Deutsch souligne que cette jeune femme possède des talents réels pour des activités féminines comme la "couture" et la "broderie d'art", auxquelles elle n'accorde aucune valeur.
Sur le front, la jeune femme tombe amoureuse d'un autre soldat. Pour Deutsch, cela s'explique par les mois passés au combat qui ont satisfait le besoin de virilité de la légionnaire et "il semble qu'ensuite sa nature féminine plus nettement eut affirmé ses droits." Une note postérieure de Deutsch nous apprend que cet amour "se termina de façon heureuse". » (pp. 216-217)
7. « Mais la fraternité née de la lutte et les aptitudes démontrées par leurs camarades féminines dans la clandestinité modifient la vision des résistants. Pour eux, la femme, c'est la petite amie, l'épouse qu'il faut protéger. La résistante qui dirige ou combat à leurs côtés n'appartient plus à cette catégorie. Ils vantent ses prouesses stratégiques ou sa capacité à prendre une décision, autant de qualités "masculines". Sa fonction ou son comportement la font basculer du côté masculin, comme en témoigne l'anecdote survenue à Lucie Aubrac. Après avoir fait évader son mari, elle se réfugie dans la famille d'un résistant. Soudain, le fils se met à crier qu'il veut faire pipi. "Hé les femmes, crie le père, occupez-vous du petit..." Lucie se lève docilement. "Pas toi ! reprend l'autre. Je parlais à mes femmes. Tu es un homme tu sais. Tu te bats comme un homme. Tu restes avec nous." Cette déclaration est d'autant plus surprenante qu'Aubrac est alors largement enceinte. La résistante constitue donc une catégorie à part, la femme "virile", intermédiaire entre l'homme et la femme "féminine".
C'est ce qui donne l'impression à de nombreuses résistantes d'avoir été traitées en égales par leurs camarades. Mais si la participation à une cause commune procure un sentiment d'unité, ce n'est pas pour autant de l'égalité. » (p. 293)
8. « Cette mise en lumière [des soldates en opération de combat] traduit un phénomène bien réel, la féminisation des armées du monde entier à partir des années 1970, quand les pays occidentaux mettent peu à peu fin au service militaire. […] La multiplication des conflits régionaux qui ne nécessitent pas l'envoi du contingent, associée à la dissuasion nucléaire rendent caduc l'emploi de conscrits. À l'utilisation massive de soldats sans qualité militaire particulière se substituent des effectifs réduits mais ayant une compétence accrue. L'ère des armées de métier débute.
Avec la complexité technologique croissante des armements, la force physique est moins recherchée que les aptitudes techniques. Ce qui a pour conséquence d'ouvrir la porte aux jeunes femmes, ayant souvent un niveau d'études plus élevé que leurs homologues masculins. […] Ceux et celles qui s'enrôlent veulent souvent acquérir une qualification utile une fois leur engagement terminé. […]
Enfin, les soldates bénéficient du déclin démographique que connaissent certains pays comme l'Australie. Avec un faible taux de fécondité, le pays a le plus grand mal à satisfaire ses besoins militaires alors même qu'il nourrit des ambitions régionales. (p. 373)
9. « "L'Angelina Jolie kurde est morte !" titrent les journaux britanniques, le 30 août 2016.
[…]
Faire d'une femme l'égérie d'un combat n'est pas une nouveauté. […] Mais cette fois, ce ne sont pas ses qualités militaires ni même ses actions qui font d'elle une héroïne. Juste son physique devenu le meilleur symbole de la lutte contre l'islamisme. Depuis le déclenchement de la guerre contre Daesh, les médias internationaux érigent les combattantes kurdes en icônes, les opposant aux femmes en niqab de Daesh. Et les photos d'insister sur les cheveux libres, le regard maquillé et les ongles vernis de ces guerrières, féminines, sexy.
Leur "glamourisation", pour reprendre l'expression de l'historien Olivier Grojean, est la preuve qu'elles partagent les mêmes valeurs que la femme occidentale, contre l'obscurantisme islamique. Mais aucun journal étranger ne s'est véritablement intéressé au combat d'Antar. Pourtant, son parcours témoigne des difficultés auxquelles sont confrontées les guerrières kurdes, autant que les avancées obtenues à force de se battre. » (pp. 380-381)
10. « Les unités militaires féminines se doublent de la création du Parti de la femme libre, réservé aux militantes et pendant du PKK.
Mais qui dit "Femme libre" dit aussi "Homme nouveau". Des professeures dispensent des cours aux hommes pour déconstruire leur "masculinité dominatrice". La jinéologie [sic], la "science de la femme", leur est enseignée, ils apprennent qu'elles sont pacifiques, anti-capitalistes, écologistes car elles cherchent seulement la satisfaction des besoins fondamentaux, dotées d'une intelligence émotionnelle, d'une compréhension de la vie et d'un sens éthique supérieurs.
Corvées et gardes sont partagées. Hommes et femmes portent un uniforme identique, l'objectif étant de désexualiser le corps féminin, afin que les hommes ne voient plus en elle qu'une camarade. Comme toutes les guérillas qui ont compté dans leurs rangs une part importante de combattantes, le PKK a dû se poser la question de la sexualité. Seul, il l'a tranchée d'une manière radicale en l'interdisant purement et simplement. Anja Flach, une ethnologue allemande qui a passé deux ans auprès de la guérilla kurde, rapporte la discussion animée à laquelle elle a assisté en 1996. Le sujet porte sur la manière de réagir face à la découverte d'une combattante enceinte. La plupart de celles présentes prônent sa pendaison et il faut de longs débats pour que tous s'accordent sur le fait que l'homme soit également puni. » (pp. 384-385)
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