Échouée en France à un jeune âge suite à la Révolution islamique et au quasi abandon d'une famille disloquée, l'auteure, dont la tentative de refoulement de ses origines atteint le sommet du changement de son prénom, « pour couvrir les sons dissonants » d'un mot qui possède pourtant, je crois savoir, le beau sens de « légende », tarde vingt-sept ans à rejoindre son Iran d'origine. Sans surprise hormis pour elle-même, elle s'y retrouve aussi assignée à l'étrangeté étrangère qu'elle l'était en France.
Ce récit retrace ses trébuchements dans une tentative de retrouvailles, tant avec ses proches, sœur un peu éloignée, père très vieilli et frère presque méconnaissable, qu'avec une langue dont elle suppose toujours qu'elle est la traîtresse qui la démasque, et plus généralement avec une civilisation dont les codes et les subtilités ne cesseront de lui échapper.
Ses élans de curiosité insatisfaits, ses vacillements, portent d'abord plutôt sur elle-même, sa nostalgie, sa mélancolie, sa possibilité de mettre au point son « regard persan », puis, progressivement, s'ouvrent sur l'extérieur : les rencontres sont orientées davantage vers la compréhension de la société environnante. Et, assez curieusement, apparaît ainsi symétriquement un autre vacillement, une autre schizophrénie, une autre dialectique entre l'intériorité (l'espace intime de la liberté convoitée) et l'extériorité (l'espace public de l'aliénation, des interdits, de la tartuferie).
L'auteure franchit-elle le seuil de la reconnaissance de la similitude étonnante entre ses propres déséquilibres dans sa quête des origines et ceux du pays qui, par rapport à une problématique dans le fond similaire (par rapport à son passé), oscille et s'accommode à la contradiction, à l'aide de la poésie et d'autres moyens de fuite de la réalité... ? Peut-être dans la reconnaissance de cette similitude ne rendez-vous n'eût-il pas été manqué.
Le témoignage est écrit avec finesse, recherche et élégance, dans un mélange réussi de sincérité et de retenue.
Cit. :
« Elle retire des plis d'un châle posé sur ses genoux une longue tige en bois peint qu'elle visse à une sphère en porcelaine turquoise, de la taille d'une petite pêche.
- C'est un instrument de musique ?
Elle me sourit, étonnée.
- Tu ne reconnais pas la flûte enchantée ?
- Je peux souffler dedans ?
- D'habitude, on inspire. Mais attends, il te manque l'essentiel.
Elle déniche derrière quelques lourds volumes de la bibliothèque une boîte en cuir rouge qu'elle ouvre doucement sous mes yeux. Emballées dans du papier de soie, j'aperçois deux barres de Carambar.
- Qu'est-ce que c'est, à ton avis ?
Heureusement, elle n'attend pas ma réponse. » (p. 167)
« Est-ce parce qu'ils frôlent en permanence le danger ? Ils ont tous une épaisseur, une histoire, une folie ! La vie est tragique mais dense. On sent une énergie étonnante. Même si le plus souvent elle n'est pas canalisée et se perd dans une spirale de vide. La société civile est inexistante : pas de partis politiques ni de syndicats, peu d'associations, des structures d'accueil chancelantes. Mais il y a cet élan, indomptable, qui nous garde éveillés. » (p. 183)
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