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[Une nuit, Markovitch | Ayelet Gundar-Goshen]
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Posté: Lun 24 Sep 2018 19:16
MessageSujet du message: [Une nuit, Markovitch | Ayelet Gundar-Goshen]
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Entrent dans l'alchimie magnifique et superbe de ce premier roman de la jeune écrivaine psychologue israélienne Ayelet Gundar-Goshen plusieurs ingrédients déjà très savamment maîtrisés :
- un fond historique intéressant : la Palestine des années 30, où les Juifs d'Europe immigraient clandestinement et luttaient contre les forces mandataires britanniques outre que contre les Arabes ; composé aussi de l'action dramatique principale : l'organisation de mariages blancs, en 1939, entre des hommes célibataires établis et des jeunes juives allemandes fuyant les nazis par l'émigration légale ; composé enfin de la guerre qui aboutit à la création de l'État d'Israël en 1948 ; - pourtant, il ne s'agit pas là d'un roman historique ;
- le drame de l'amour contrarié par le manque de réciprocité : Yaacov Markovitch refuse d'accorder le divorce à Bella, « la plus belle femme qu'il ait vue de sa vie », tout en se condamnant, en même temps qu'elle, à une irrémédiable peine, à une double frustration irréparable ; - pourtant, il ne s'agit pas là d'un roman d'amour, à moins de dissocier l'amour du bonheur ainsi que du malheur, de l'espoir ainsi que du désespoir... ;
- une réflexion psychologique passionnante sur le poids des apparences : Yaacov, au physique « extraordinairement banal », est constamment pénalisé par le regard qu'autrui porte, ou plutôt ne sait même pas porter sur lui ; son aspect provoque des préjugés moraux à son désavantage, le contraignant sans doute aux actes les plus vertueux et parfois à l'héroïsme ; la beauté de Bella, avant qu'elle ne se fane, l'absout de bien des écarts mais ne lui apporte ni satisfaction ni consolation ; il en est partiellement de même pour les autres personnages masculins, beaux et virils, notamment quant au succès de leur paternité... ;
- une prose caractérisée par la plus subtile ironie chaque fois que la narration le permet, par la plus grande vivacité ailleurs, et toujours par une très agréable originalité – cf. surtout la chute –, rendue de manière absolument admirable par la traduction à six mains ;
- mais par-dessus tout, et c'est magistral, des portraits de personnages très profonds, complexes, dynamiques, nuancés, porteurs d'actions imprévisibles, et se soustrayant à toute tentative de jugement moral ; ils sont construits selon une géométrie de prismes triangulaires à parois réflechissantes (la forme du kaléidoscope, à y songer!) : ainsi, on pourrait s'attendre plutôt banalement à ce que les deux personnages principaux des premiers chapitres, Yaacov Markovitch et son fraternel ami Zeev Feinberg ne représentent juste que l'opposé l'un de l'autre – mais ce serait minorer le rôle fondamental du troisième élément de la triade masculine : Efraïm Froïke, « le numéro deux de l'Organisation » ; va s'ensuivre une triade féminine composée de Bella, de Rachel, la femme du boucher, et de Sonia : il est plus compliqué (et cela imposerait de révéler trop de rebondissements de l'histoire) de saisir l'enchevêtrement des personnalités de ce trio de femmes, ainsi que leurs reflets réciproques, mais l'on peut s'y aider par l'observation de leurs trois manières d'être adultères et d'être mères et enfin par leurs relations à la parole. Enfin, est tout à fait essentielle, pour la dynamique narrative mais aussi pour mieux parfaire les portraits des personnages, la triade des enfants : Yaïr, le fils de Sonia, Zvi, le fils de Bella, et Naama, la fille adoptive de Zeev.

Depuis longtemps, plus d'un an assurément, je n'ai pas été aussi séduit par un roman. Sa lecture, pourtant bien rapide, me laissera, j'en suis certain, une marque durable et un plaisir prolongé (outre la vive curiosité pour les œuvres successives de l'auteure).

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