Cet essai, dont le sous-titre est « Eléments d'ethnopsychothérapie », s'adresse à un lectorat averti, possédant une très bonne intelligence de certaines notions de la psychanalyse et quelques connaissances anthropologiques. En partant du double constat que la psychiatrie occidentale s'avère incapable de traiter efficacement les psychopathologies des membres des sociétés traditionnelles, même lorsqu'elle y est introduite par des praticiens locaux occidentalisés, ainsi qu'appliquée aux migrants dans les sociétés occidentales ; et d'autre part que « 80% des habitants de la planète recourent à des techniques thérapeutiques traditionnelles telles que chamanisme, possession, voyances, guérisseurs syncrétiques divers » (p. 13) en y trouvant leur compte, il se fonde surtout sur la clinique. Bien entendu, dans les deux premiers chapitres, il est surtout question de donner une assise à l'ethnopsychiatrie en dissipant nos scepticismes universalistes ethnocentriques quant au charlatanisme supposé des thérapeutiques « étrangères » et aux interprétations que les patients donnent de leurs symptômes, ou faut-il dire : du sens que ceux-ci font au sein du « triangle thérapeutique ». De même que le pragmatisme s'impose, chez le thérapeute comme chez le patient qui a recours à ses soins, au lieu d'une vaine recherche de la « croyance » des uns ou des autres et de la « vérité » dans les techniques de guérison, de même un syncrétisme évident se révèle à l’œuvre entre interprétations psychanalytiques et étiologies traditionnelles. Si le chapitre 3 est surtout descriptif du cadre des consultations d'ethnopsychiatrie à Bobigny, où Tobie Nathan soigne au sein du Centre Georges Devereux qu'il dirige, les chapitres successifs deviennent de plus en plus théoriques. Les « Observations » des cas cliniques aussi sont traités avec une grande technicité. Le dernier chapitre ainsi que la Conclusion ouvrent enfin sur un autre thème complémentaire et adjacent : la migration comme éventuelle cause psychopathogène. En particulier j'ai été saisi par la symétrie entre certains comportements d'autodestruction que l'on observe chez des jeunes héritiers d'une migration (Nathan accepte le terme de migrant de deuxième génération), comportements qui relèvent d'une « appétence traumatophilique » (p. 191), et les rituels d'initiation présents dans tant de sociétés traditionnelles.


Table :

Chapitre Ier : « Ressorts de l'efficacité technique dans les thérapies traditionnelles »
Ch. 2 : « Du paganisme thérapeutique » [en particulier de la phénoménologie de la transe et de la compatibilité entre interprétation de la possession et de l'hystérie]
Ch 3 : « La consultation d'ethnopsychiatrie : problèmes techniques »
Ch 4 : « Théories et croyances (Place et fonction des étiologies traditionnelles dans la clinique interculturelle) »
Ch 5 : « Du transfert » [contient : 1/ « Etiologies traditionnelles et opérateurs de transfert » ; 2/ « L'utérus, le chaman et le psychanalyste » ; comporte le plus grand nombre d'« Observations » et leur analyse la plus détaillée. L'on comprend, ici en particulier, que l'ethnopsychothérapie est un travail syncrétique d'acceptation de l'univers métaphorique du patient, en vue de la restitution d'un sens de ses symptômes, au sein de la théorie psychanalytique : aucunement du remplacement de celle-ci par les techniques traditionnelles.]
Ch 6 : « Mémoire d'exil » [A partir du concept de traumatisme, examen des possibles pathologies psychiques provoquées par la migration et l'héritage migratoire ; en particulier, pour ce dernier, symétrie avec les rituels d'initiation]
Conclusion : « Ruptures et migration »


Cit. :

« Les plus complexes parmi ces systèmes [thérapeutiques traditionnels] comportent une véritable métapsychologie, au sens freudien, et, de ce fait, mettent en œuvre une métaphore : 1/ du corps biologique et de ses rapports au milieu ; 2/ du corps social et des conflits qui le traversent ; 3/ du fonctionnement onirique ; 4/ de plus, ces systèmes assurent une fine homéostasie entre ces trois métaphorisations. L'on pourra m'opposer qu'une métaphore n'est pas une théorie scientifique. Je ne peux que partager une telle opinion. Cependant, à l'heure actuelle, il n'existe pas de psychothérapie autre que métaphorique. Toute question sur la validité universelle d'une métaphore me paraît sans réponse. En revanche, il est possible de comparer l'efficacité heuristique et technique des différentes métaphores. C'est ce à quoi procèdent les malades, dans leur choix de telle ou telle technique thérapeutique et dans leur passage de l'une à l'autre. » (p. 21)

« Il semble donc que l'on ne puisse parler indépendamment du désordre, du thérapeute et de la technique thérapeutique, mais bien d'un "triangle thérapeutique" dont la seule constitution intégrale permet le déroulement de l'activité restitutive. » (p. 26)

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