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[Pourquoi les animaux trichent et se trompent | Thierry ...]
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Posté: Lun 23 Avr 2018 21:23
MessageSujet du message: [Pourquoi les animaux trichent et se trompent | Thierry ...]
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[Pourquoi les animaux trichent et se trompent | Thierry Lodé]

En prenant de l'âge, je ressens de plus en plus d'aversion pour la polémique. Or ce livre, hélas, est composé en très grande partie de polémiques contre Darwin et surtout les « neodarwinistes » dont je suis en train de m'abreuver depuis quelques mois. Sans doute parce que, pour étaler les spécificités de ses théories, l'auteur préfère caricaturer la vision adverse, (encore) paradigmatique ou en tout cas majoritairement acceptée en biologie évolutionniste, dénigrer ses opposants – et omettre de les citer, comme pour Matt Ridley, même lorsqu'il parle de la théorie de la Reine rouge (The Red Queen – qui précède de vingt ans cet essai), ou grossir jusqu'au gigantisme des différences modestes, réductibles, des nuances compatibles qui gagneraient à être prises pour des complémentarités, des difficultés théoriques déjà affrontées et résolues...
Non que les incompatibilités avec l'orthodoxie n'existent pas. Et j'ai apprécié de pouvoir les jauger avec mes précédentes et sans doute futures lectures neodarwinistes orthodoxes. Mais d'une part il m'a fallu arriver à l'excipit de l'ouvrage (que je reproduis presque intégralement en cit.) pour lire une formulation précise et concise des théories énoncées faute d'être démontrées par le livre ; d'autre part, la posture polémique de l'auteur m'a poussé à l'attitude défiante du lecteur qui cherche à démolir ce qu'il comprend, à l'aune de ce qu'il a déjà lu. C'est dommage lorsque l'on cherche respectivement à convaincre et à apprendre.
Par ailleurs, bien que le verbe soit très séduisant, surtout au début, dans la tradition de la prose philosophique française, alors que « mes » Dawkins, Ridley et confrères ont la plume plus empirique, plus mathématique, un brin ironique mais souvent plus indigeste des scientifiques britanniques, je reproche à cet essai une structuration des chapitres obscure, très peu soucieuse de toute progression démonstrative, et une surabondance d'anecdotes sur la reproduction voire sur toutes sortes de mœurs de telle ou telle autre espèce animale, souvent presque sans rapport – ou ô combien ténu – avec le quod erat demonstrandum. Encore une sorte d'arrogance envers le lecteur, trop ignare sans doute pour qu'on se donne le mal de le persuader, qui n'a donc qu'à se contenter d'être amusé d'histoires animalières bien contées.
Il serait tentant de rédiger cette note sur le même ton railleur, et particulièrement de rétorquer contre l'auteur les mêmes reproches qu'il adresse à ses opposants : après tout, même un écolier sait faire la différence entre Darwin et le darwinisme social (et l'eugénisme) – ils n'ont pas plus à voir l'un vis-à-vis de l'autre que la méiose avec Kropotkine (et le terrorisme anarchiste) ; il n'y a pas davantage de téléologie dans la propagation maximale des gènes que dans la « sensibilité primordiale » et dans l'omniprésence de la « relation » dans la biosphère ; le soi-disant « égoïsme des gènes », expliqué dans un essai entier très touffu de Dawkins, est exactement, ni plus ni moins que la cause de la « reproduction différentielle » ; de même, je trouve beaucoup d'analogies, même dans les exemples, entre « phénotype étendu » et « interactions » ; la « compétition » - expression moderne de la « sélection naturelle » - n'est pas éloignée, si j'ai bien compris, du « conflit génomique que la réduction méiotique gouverne » ; à ceci près que Lodé ne dit rien, mais alors rien du tout, du conflit entre les genres, ni de la manière dont celui-ci se transforme en réconciliation amoureuse, ni en somme il ne répond à la question posée par le titre du volume ; enfin, après mes lectures sur la dialectique très complexe entre gènes et comportement, la vision de Lodé sur ce sujet me paraît extrêmement fruste.
Au contraire, une question m'a effectivement convaincu : l'impossibilité de placer sur le même plan la « sélection naturelle » alias « reproduction différentielle », que je considère, avec Dawkins et n'en déplaise à Lodé, comme l'affaire des gènes, et la « sélection sexuelle », ou « choix des partenaires », qui ne peut que concerner l'individu – sur un plan que j'estime subsidiaire du précédent. Et en particulier, quant au choix, pour moi, suivant Leibniz : croit choisir celui qui ignore les raisons de ses choix...
A part cela, j'ai bien aimé la genèse des eucaryotes, et la prégnance incomparable de la sexualité.


Cit. :

« Car l'apparition de la sexualité a entraîné trois conséquences majeures sur le monde.
Tout d'abord, le sexe a définitivement brouillé une "sélection" prétendument impersonnelle en favorisant le CHOIX des partenaires en tant que force évolutive. […] D'un seul coup, la RELATION devenait plus importante que l'individu. Née d'une sensibilité primordiale qui rend les uns attirants pour les autres, voilà que l'histoire évolutive dépend maintenant de la liberté du désir.
Le deuxième résultat de l'émergence de la sexualité consiste dans l'opposition inévitable des deux genres. À partir de la spécialisation des gamètes, l'un petit, mobile, le spermatozoïde, l'autre gros et plein d'énergie, l'ovule, une divergence incroyable confronte les deux partenaires, et ce conflit invraisemblable se déroule dans le corps des protagonistes. […] Alors commence à s'entreprendre la grande stratégie des réconciliations amoureuses, menant progressivement à l'organisation de relations mutuelles précaires et magnifiques.
Enfin, le sexe biologique produit la variation, la différence essentielle. Au lieu de s'égarer dans une amélioration continue de performances d'une espèce qu'une crise viendrait réduire à néant, la reproduction sexuelle s'engage dans une diversification infinie, recombinant les gènes des uns avec les gènes des autres pour former une individualité nouvelle absolument originale. De toutes ces imprévisibles conséquences, il découle une subtile interdépendance des uns et des autres. » (pp. 40-41)

« Car l'évolution s'est aussi faite grâce à une sensibilité primordiale, depuis le niveau de la cellule jusqu'à celui des corps, c'est ce qu'on nomme le mécanisme de facilitation. Loin d'une concurrence acharnée, il faut comprendre la facilitation comme un processus qui, à travers les interactions individuelles, qu'elles soient apparemment négatives ou positives, produit des effets coévolutifs à l'échelle de la communauté et structure les mutualismes. » (p. 81)

« Les comportements contredisent les gènes. N'en déplaise à l'écologie comportementale, c'est précisément quand un ensemble génétique manque, quand une morphologie est absente que le comportement vient combler le déficit. En adoptant une tactique particulière, l'animal pallie la lacune génétique. » (p. 189)

« Dérivant de fonctions métaboliques, les premiers archaïsmes du désir commençaient. Certaines bulles [de lipides, prébiotiques], privées de matériel génétique ont disparu. Mais d'autres ont profité de ces échanges, et les plus libertines, celles qui toléraient le mieux la promiscuité, ont mêlé leurs gènes. Cette appropriation réciproque a permis de profiter de l'aptitude des gènes à rénover les enzymes, à changer de métabolisme. Du coup, l'ADN s'additionnait, se dédoublait même, organisant sa redondance. Entre les cellules, un équilibre des échanges s'est réalisé, une gestion du contact, et, à partir de mécanismes primitifs de rejet d'un trop-plein d'ADN, la réduction méiotique a tempéré le nouvel organisme, inventant le début du sexe. […]
Les échanges d'ADN se multiplient, entraînant un conflit génomique que la réduction méiotique gouverne. Grâce au noyau, ces protocellules admettent les multiples chromosomes et la recombinaison totale. Les premiers eucaryotes apparaissent. […] établissement d'une relation préalable […] et cela chez des êtres non sexués, ni mâles ni femelles. Car le sexe est apparu avant les individus sexués ! » (p. 266)

« Jamais il ne fut aussi temps de construire un nouveau paradigme évolutif qui :
- Discute le modèle d'une coévolution écologique, intégrant les organismes dans un ensemble d'interrelations dynamiques et changeantes avec leur environnement et reconnaissant la force structurante des interactions, de l'hétérogénéité de l'environnement et des stratégies mixtes.
- Intègre une nouvelle vision de l'information génétique, bannissant le déterminisme des "bons gènes" en s'ouvrant, au contraire, sur l'épigénétique, sur ma théorie du gène livre de cuisine […]
- Désavoue la dichotomie des sélections naturelle ou sexuelle au profit d'une réflexion sur la reproduction différentielle, seul critère d'efficacité à long terme, reconnaissant combien les individus et leurs décisions stratégiques pèsent sur l'histoire diversifiante de leur évolution.
- Démente, par conséquent, la figure traditionnelle de l'arbre phylétique vertical et des ancêtres uniques, mais, à l'opposé, admette les transferts horizontaux et une construction phylétique en mosaïque, selon le principe d'une évolution réticulée.
- Évacue l'hypothèse centrale de la concurrence intraspécifique et propose plutôt de réfléchir au rôle des interactions et de la facilitation dans le processus évolutif, générant du conflit et de la spécialisation phénotypique, introduisant la différence dans l'histoire, probablement selon des dispositifs bioéquivalents au mécanisme de déplacement de caractères.
- Conteste le théorie du sexe comme processus avantageux de propagation des gènes, mais accepte, au contraire, d'étudier la sexualité comme une interaction primitive propre aux eucaryotes suivant la théorie des bulles libertines, et réalisant que tout changement résulte d'un mécanisme immédiat et proximal sans orientation ni but ultime.
- Et, enfin, conçoive que le comportement ne consiste pas dans une force complémentaire au service des gènes, mais cherche plutôt à retrouver une écoéthologie, le développement des comportements dans leur environnement, évacuant définitivement la tentation eugéniste. » (pp. 279-280)

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