Jacques Réda n'est pas un auteur très connu si j'en juge au nombre de critiques et même de lecteurs sur Babelio. Pour ma part, je ne sais plus ce qui m'avait poussé à acheter en librairie son livre "Aller aux mirabelles", il y a une vingtaine d'années, peut-être davantage. Dans cette collection "L'un et l'autre", au format allongé, à la couverture d'un bleu profond, simplement rehaussée d'un dessin au trait jaune d'or, Gallimard éditait, sous la direction de J.B. Pontalis, "des œuvres littéraires qui dévoilent «les vies des autres telles que la mémoire des uns les invente» ".
J'avais lu à la même époque "Le très-bas" de Christian Bobin, publié dans la même collection. Pourquoi diable n'avais-je pas lu, dans le même élan, "Aller aux mirabelles" ? Je crois me souvenir que j'en avais seulement parcouru les premières pages et que je l'avais reposé sur l'étagère. Je suis toujours étonné de constater l'incroyable patience des livres : ils attendent des années, parfois des dizaines d'années, sans broncher, sans un murmure, sans une plainte, qu'on veuille bien les prendre sur l'étagère où on les avaient abandonnés, coincés entre deux confères, et, alors que le remords nous assaille de les avoir fait lanterner aussi longtemps, eux ne semblent pas nous en vouloir, ils sont prêts à nous enivrer, nous effrayer, nous faire rêver comme au premier jour où ils nous avaient séduits sur la table d'une librairie, ce jour où, sur un coup de tête, nous les avions enlevés pour les installer chez nous, dans notre salon. Douce nature que celle des livres !
Et, de fait, le parfum de fruits mûrs d'"Aller aux mirabelles" n'a rien perdu de sa force, au contraire. Jacques Réda arrive à bicyclette à Lunéville, sa ville natale, après avoir traversé en Haute-Saône les champs de mirabelliers au moment de la cueillette des fruits. Comme on prend son panier pour "aller aux mirabelles", il va aller cueillir pendant trois jours (du vendredi soir au mardi matin, jour de son départ) les souvenirs qu'il a laissés en partant de cette ville, bien des années auparavant, et les coucher sur le papier. Réda marche sur la pointe des pieds, tâtonne, retient son souffle, ose parfois une question et recueille les regards, les silhouettes, les poignées de mains ou les accolades, des bribes de conversations et laisse remonter les souvenirs. Comment parler de la pudeur de l'auteur, sans être impudique, de la légèreté de ses mots, sans être pesant, de sa joyeuse nostalgie sans tomber dans les clichés ? J'ai bien fait d'attendre de mûrir un peu pour déguster ces mirabelles-là. Elles n'en sont que plus savoureuses !
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