Il est notoire que le christianisme a été très longtemps l’ennemi de la science. Depuis saint Jean qui condamnait le désir de connaître sous la triple forme de : concupiscentia carnis, concupiscentia oculorum et superbia vitae, en passant par saint Augustin qui le reformule dans la triade plus connue de : libido sentiendi, sciendi et dominandi, jusqu’à Bossuet et peut-être au-delà, le savant n’est pas homme recommandable pour la soutane. Mais que se passe-t-il à partir de la Renaissance, de Francis Bacon à Pascal ? Le savant est dédouané de son activité de domination, de dévoilement, de violence, de torture de la Nature ; mais celle-ci s’incarne au féminin, par conséquent, dans l’image littéraire relative au savant, son activité prend une forme farouchement misogyne, et c’est la féminité tout entière, voire la femme elle-même qui fait les frais de cette science qui dénude, lacère au scalpel, creuse, fouille, vide et viole : en médecine et en psychiatrie, bien sûr principalement, mais aussi dans la botanique, l’hématologie, l’archéologie, l’ethnologie… Et cela jusqu’au début du XXe siècle, où la femme commence à accéder aussi à la position de savant, souvent par la médecine justement, mais au prix de hautes luttes contre l’imaginaire en vigueur. Le savant n’est décidément plus homme recommandable pour la jupe. C’est la thèse de cet essai.
Quant à la méthode : il est question « d’établir une archéologie imaginaire du désir de savoir » par son image littéraire. Des œuvres littéraires – en majorité d’auteurs mineurs ou oubliés mais aussi quelques classiques et plusieurs œuvres mineures d’auteurs très connus – s’étendant du XVIIe au début du XXe s. sont utilisées et répertoriées dans une utile « bibliographie primaire ». Parfois leurs données sont croisées avec la littérature grise médicale.
Le plan de l’ouvrage semble répondre aussi bien à une certaine chronologie qu’à une progression du général au spécifique :
1. « De la libido sciendi à la libido » - pose les bases philosophiques (épistémologiques) du débat et illustre une violence misogyne croissante ;
2. « L’amante du savant » - les relations du savant, « eunuque de sa science », avec les femmes dont il peut être le précepteur (femme = disciple), l’observateur-opérateur (femme = cobaye) ou l’amant (femme = muse) ;
3. « La belle et le scalpel » - premier zoom sur le couple médecin-patiente, « sur fond de violence consentie », en particulier en gynécologie et autre chirurgie ;
4. « La Vénus anatomique » - zoom plus resserré sur les femmes de cire utilisées par les descendants d’Hippocrate, les momies, les statues et autres Vénus archéologiques ;
5. « Machines amoureuses » - légère digression sur la littérature libertine et érotique, de Sade à la science-fiction, concernant les objets tels les automates jusqu’aux femmes (et surmâles) recréés, sur fond de pensée eugéniste ;
6. « Trépaner Vénus » - gros plan sur la psychiatrie, en particulier à partir de Charcot ;
7. « Princesses de science » - sur l’image de femme qui accède à la science, immorale et déféminisée, « femme à barbe », inadaptée à la pensée scientifique et compromettant son rôle d’épouse et de mère…
Suit un intéressant chapitre conclusif : « Les héritières de la Vénus anatomique », qui traite en particulier de la chirurgie esthétique contemporaine, comme ultime avatar du même phénomène…
Dès l’introduction, l’essai mentionne la critique émise par le mouvement connu sous le nom « d’écoféminisme » qui remonte à la moitié de la décennie 70 en France : le développement de la science mis en parallèle avec l’oppression des femmes et le saccage environnemental. Mais il a le mérite de ne pas se mouvoir sur ces bases et de rester au contraire très proche de la lettre des textes littéraires (sans oublier une réduite mais très opportune iconographie).
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