Sur l'onde des nouvelles de Sait Faik, j'ai recherché des analogies dans la littérature française actuelle. J'avais dans les mains ce petit livre qui m'a été récemment offert et qui promettait des fragments : bribes de scènes de rue, de situations du quotidien banal, de sensations ou de sentiments minuscules et vécus, de phrases glanées çà et là, de mots au sens détourné ou aux connotations déroutantes, d'images d'extérieurs, d'intérieurs, ou même – pour le premier et le dernier fragment – de scènes de tableaux du Vénitien du XVIIIe s. Pietro Longhi. Je me suis remémoré l'anamnèse selon Barthes : « Action – mélange de jouissance et d’effort – que mène le sujet pour retrouver, sans l’agrandir ni le faire vibrer, une ténuité du souvenir ».
Ensuite, j'ai renoncé à cette piste trop diariste, pour finalement songer qu'à vouloir rechercher une filiation ou même seulement une parenté à ces fragments, le mieux serait de regarder du côté de chez Francis Ponge.
Pour me réjouir : la précision de la langue, l'identification dans plusieurs situations et surtout cette subtile irone teintée occasionnellement d'amertume. Un petit sourire que le pauvre Sait Faik n'a pas pu monter.
Mes fragments préférés : « Dans la voiture », « Il est pas méchant », « Le paysage d'automne est accompli » (un vrai petit vade-mecum pour traducteurs!).
Cit.
« Dans la nuit commençante, corps abolis dans l'habitacle, ceinturés, les mots montent du fond de soi.
Ils disent, d'une voix affermie par nécessité – juste de quoi couvrir le bruit du moteur – des fêlures inattendues, qui viennent épouser familièrement les contours de la route […] perspectives d'avenir ou de passé en lignes droites, courbes maîtrisées des contradictions. » (pp. 65-66)
« C'est tout à coup comme une musique différente, profondément émouvante, comme toutes les mélodies qui conduisent juste à côté de l'endroit où on pensait qu'elles allaient nous mener. Bien sûr, il s'agit de la traduction d'un mot suédois, qu'un autre mot français aurait peut-être approché davantage. Mais lequel ? On n'a pas envie de chercher, parce que dans son étrangeté "accompli" est parfait ici. Plus que parfait. Il porte en lui un regard neuf. » (p. 77)
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