Quand la Tamassee gronde.
L’entrée en matière (aqueuse) du roman de Ron Rash est d’autant plus effroyable que l’empathie avec la jeune Ruth est immédiate et qu’elle se noie dans la tumultueuse Tamassee sous les yeux éperdus de ses parents, impuissants depuis la rive. Abattus et fracassés intérieurement, Ellen et Herb Kowalsky ne tiendront encore debout qu’avec une idée fixe, extraire coûte que coûte le corps de leur enfant de la rivière des Appalaches. Le cadavre sans sépulture gît sous des tonnes d’eau et les dangereux remous empêchent les repérages et le repêchage. Survient une possible solution technique en la personne de Pete Brennon avec la construction d’un barrage amovible au lieu-dit Wolf Cliff Falls le temps que le corps soit dégagé de ses prisons d’eau et de roche. Luke Miller, écologiste fervent, ne l’entend pas de cette oreille. La Tamassee est protégée par une loi fédérale, arrachée de haute lutte, qui précise qu’aucune intervention humaine ne peut atteindre à son intégrité. Miller croit fermement qu’une seule esquarre posée dans la règlementation fera voler en éclat la protection intégrale du site, les promoteurs n’attendant qu’un signe pour dépecer à leur profit le dernier lambeau sauvage et intact des Appalaches.
Ron Rash confronte des croyants fervents représentés d’un côté par les parents Kowalsky désireux de faire leur deuil à partir de la dépouille de leur enfant ensevelie en terre consacrée et d’un autre côté par le radicalisme de Luke Miller qui pense la rivière comme une entité vivante, sublimée et transcendante. La tragédie va se jouer à travers le regard de Maggie Green, une photographe de retour au pays pour couvrir l’événement, accompagnée d’Allen Hemphill, grand reporter chargé d’enquêter, d’interroger et de rédiger un article sur le drame mais le journaliste a vécu un traumatisme familial similaire et son regard risque d’être partial. Maggie, la narratrice, retrouve son père en fin de vie et les différends ressurgissent. Elle fraye à nouveau avec son passé, se remémore ses relations au sein de l’association de protection de la nature ainsi qu’avec son leader, Luke Miller.
Bien que le roman date de 2004, postérieur de seulement deux ans à One Foot in Eden [Un Pied au paradis, ©2009 Le Masque], Ron Rash a su composer un récit crédible et prenant en l’enrichissant avec une galerie de personnages convaincants. Les dialogues sonnent juste et l’histoire individuelle prend une dimension universelle, parlant de la fragilité de la vie et de l’insistance des sentiments à ne jamais complètement mourir, de la beauté élégiaque de la nature, de la difficulté à se relever après avoir encaissé les coups du sort.
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