Pour la sociologie Et pour en finir avec une prétendue « culture de l'excuse ». – Lahire Bernard. – Paris : La Découverte, 2016. – 183 p. – Coll. Cahiers libres. – ISBN 978-2-7071-8860-1
J'aurais pu avoir déjà lu Bernard Lahire, puisque quelques-uns de ses ouvrages sont en rapport avec l'école. Ce n'a jamais été le cas. Mais la promotion de cet ouvrage a été bien faite, car avant de l'acheter j'avais entendu parler de sa parution et du projet que formait l'auteur d'exonérer sa discipline des reproches que certains lui adressent. Parmi ceux-ci, Philippe Val. On trouve donc trois ou quatre citations de son livre "Malaise dans l'inculture" (que je n'ai pas lu non plus), dont une ou deux commentées sans aménité : « … il pousse le cynisme un peu plus loin encore … » ; « … au mépris du principe de non-contradiction ... »
En fait, les reproches dont Bernard Lahire veut montrer le « mal-fondé » se réduisent à un seul : « Cherchant à expliquer des actes ou des situations, les sciences du monde social sont, du même coup, accusées d'excuser les coupables, de les déresponsabiliser. »
Sa ligne de défense se lit dans les propos même de Durckheim, le fondateur de la sociologie française : « … la science commence dès que le savoir, quel qu'il soit, est recherché pour lui-même … le savant … dit ce qui est ; il constate ce que sont les choses, et il s'en tient là … Son rôle est d'exprimer le réel, non de le juger. » Bernard Lahire ajoute que la connaissance scientifique se conquiert grâce à l'irresponsabilité politique ou morale des savants qui n'ont pas à se demander si ce qu'ils découvrent va plaire ou déplaire, être utile ou inutile. Il cite aussi Elias pour indiquer qu'il faut atteindre un très « haut degré de distanciation, de maîtrise de soi et de neutralité affective ».
Bernard Lahire affirme que la critique envers la sociologie manifeste une résistance de la part de ceux qui adhèrent à la fiction philosophique ou juridique de l'individu isolé, libre et pleinement conscient de tout. Tout au contraire : « L'étude du social à l'échelle individuelle contribue à effacer un peu plus l'image d'individus abstraits, « sans attaches ni racines », disposant d'un libre arbitre, pour faire apparaître une image beaucoup plus adéquate d'individus pris dans des réseaux de contraintes tant intérieures (intériorisées sous forme de dispositions ou d'habitudes) qu'extérieures (contextuelles). »
L'auteur aurait été bien inspiré de s'en tenir à ces 128 pages, le format de la collection « Que sais-je ? » ou celui de la collection « 128 » de Nathan. Mais il y joint un supplément de 40 pages intitulé "Le monde selon Val : une variante de la vision conservatrice", qui revient sur l'ouvrage "Malaise dans l'inculture". Philippe Val n'a certainement pas besoin de moi pour le défendre, et d'ailleurs les nombreuses citations de son ouvrage ne me donnent pas la moindre envie de le lire, même si je suis conscient qu'elles ne sont peut-être pas un reflet exact du livre entier. Mais en ce qui concerne Bernard Lahire on peut dire que le « haut degré de distanciation, de maîtrise de soi et de neutralité affective » est bien loin. Tout à l'inverse de ce qu'il entendait montrer, il nous prouve que certains sociologues, dans certaines circonstances, se transforment en simples chiffonniers se battant contre d'autres chiffonniers (attention, j'utilise une expression française traditionnelle, sans aucun « mépris de classe » de ma part!). C'est peut-être ce qui entraîne des reproches par ailleurs mal fondés ?
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