Autant l’avouer tout de suite, la biographie d’Arthur Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère parue chez Fayard en 2001 est exceptionnelle. Le biographe ouvre le grand livre de la vie du poète et durant les 1 200 pages, l’attention ne se relâche jamais. Toutes les 40 pages environ, défilent les 22 chapitres aux titres remarquables : « De Charlestown à Parmerde » ; « Les Illuminécheunes » ; « De Leun’deun à Stuttegarce » ; « Nothing de Rimbe » ; « D’Aden à Tadjourah »… Les chapitres sont séparés par des notes qui précisent les sources et apportent un éclairage appréciable des faits et des personnes non sans humour parfois. Ainsi, la notice 62 du premier chapitre est une « galéjade hagiographiquement berrichonesque ». Elle stipule que Rimbaud, à sa naissance, avait les yeux ouverts. Il est descendu de son coussin et s’est dirigé à quatre pattes en riant vers la porte de sortie. Le biographe ajoute : « Pour un peu, Berrichon faisait descendre le nouveau-né chez le libraire du rez-de-chaussée et s’emparer du premier livre de poésie à sa portée. » Les trois cahiers de photographies en noir et blanc scandent le livre. Les 46 planches hors texte animent des visages oubliés, exhument des images inédites à l’exemple de celle à Sheikh-Othman où Rimbaud tient un fusil, le visage aux traits éternellement indistincts. Cartes, arbre généalogique et index des noms propres complètent l’ouvrage. Le biographe a un regard distancié et sa plume est celle d’un clinicien. Il semble avoir tout lu et quasiment tout intégré des documents, témoignages et interprétations. Rimbaud est perçu in situ. Nul besoin de broder. La vie du poète est de la plus belle étoffe, « un madras en soie de couleur or rayé de rouge et de blanc ». J’aimerais tant entendre les discussions entre Verlaine et Rimbaud lors de leurs promenades sur la Butte, au Quartier latin ou dans les cafés parisiens. Le génie est parfois de notre monde mais il est aussi évanescent qu’un feu follet. La mort du poète est éprouvante. « Traversant un site désertique, Rimbaud resta seize heures étendu sous l’averse » (p. 1109). Le poète souffre d’une tumeur cancéreuse au genou qui rend tout mouvement insupportable. Si le biographe interprète peu la poésie rimbaldienne, il redevient médecin quand il évoque l’ostéosarcome du cavalier. Je n’aimerais pas entendre les lamentations du poète sur son lit de mort. « Il a la maigreur d’un squelette et le teint d’un cadavre » note Isabelle Rimbaud. « J’irai sous la terre et toi tu marcheras dans le soleil » pleure Arthur Rimbaud dans l’oreille de sa sœur. Rimbaud reste probablement le plus grand poète de langue française. Il ne sera sûrement jamais égalé, hélas !
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