Bien sûr, les gens informés savent que la société de consommation est incompatible avec un partage équitable des richesses et ils pressentent que l’épuisement des ressources planétaires s’approche à grand pas d’apocalypse. L’appauvrissement de la biodiversité (une espèce disparaît toutes les vingt minutes) est l’aboutissement de la destruction des habitats (dans deux siècles, il n’existera plus aucune forêt tropicale), des pollutions (le fameux réchauffement climatique), des prélèvements excessifs (la surpêche). En corollaire, les terres arables s’épuisent (l’équivalent de 25 % du territoire français est perdu chaque année). Tout cela est connu, diffusé, vulgarisé, débattu, contredit. Les lobbys œuvrent sans relâche ; les multinationales font main-basse sur tout ce qui est bancable (les brevets sur le vivant, les OGM). Les données scientifiques sont pourtant précises, les relevés irréfutables. Tout continue sur une lancée aveugle, accélérée, sans frein. Le livre de l’ornithologue écologue Philippe Jacques Dubois apporte un nouvel éclairage quant à l’amnésie collective concernant la perte de la biodiversité. Il donne des exemples parlants à travers l’extinction aux alentours des années 2000 du poisson-spatule (sept mètres de long, pesant plusieurs tonnes) et du dauphin Baiji (intégré à la mythologie chinoise) vivants dans le Yangtsé. Près des trois-quarts des pêcheurs chinois travaillant depuis 1995 et interrogés en 2008 n’avaient jamais entendu parler de ces deux espèces exceptionnelles. Il en est de même avec la disparition de la biodiversité domestique (fruits, légumes, vaches, chevaux, ânes, poules, etc.). De cette amnésie, révélatrice d’un fossé entre l’homme et la nature, se déploie le syndrome de la référence changeante c’est-à-dire de la prise en compte de la biodiversité à un moment donné à partir d’observations de terrain mais qui ne seront pas reprises par de plus jeunes scientifiques partant de leurs propres évaluations. L’accommodation à l’appauvrissement des biotopes se fait ainsi, par l’oubli, par l’habitude des milieux uniformes remplis de silences, ainsi du chant de l’alouette se raréfiant dans les plaines françaises : « […] quand j’en comptais quinze, mon père en aurait sûrement dénombré quarante… ».
Dans son essai, l’auteur cherche et propose des solutions tel l’enseignement de la nature aux nouvelles générations mais le lecteur sent que ce ne sont que des pis-aller tant la destruction aveugle est enracinée dans l’homme. Néanmoins, la lecture est instructive, sans temps mort. Le ton n’est ni catastrophiste, ni défaitiste. Les phrases ramassées claquent comme des fouets. Le propos est tenu et développé jusqu’au bout bien que l’on sente que l’auteur eût encore bien d’autres choses à dire après ses 122 pages remplies de mots chargés de sens. On se trouve face à un livre de terrain et de combat.
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