[Anges déchus : une enquête de Varg Veum, le privé norvégien | Gunnar Staalesen]

Varg Veum retrouve d’anciens copains d’école à l’enterrement de l’un d’eux, mort en tombant d’un échafaudage. Il y a d’abord Jakob Aasen puis ensuite vient Paul Finkel. Varg plonge dans ses souvenirs et revoit la photo de classe quand tout était encore possible : « Personne n’avait tracé de croix noire au-dessus de nos têtes. Personne ne nous avait dit quand nous allions mourir ». De pinte en quinte, de rade en dérade, les vieux camarades écument leurs souvenirs communs et leur passé arrêté. Paul Finkel ayant harponné une femme esseulée dans le dancing, Jakob et Varg aboutissent à un concert où s’exhibent de nouveaux talents comme Bella Bruflat, furia sexuelle sur scène (« […] elle bougeait le micro dans un mouvement de va-et-vient vers sa bouche encore plus évocateur, puis elle poussa un cri bestial sur une partie assourdissante de guitare, ce qui provoqua une réaction d’émoi à travers tout le public ».). Puis vient le tour de Johnny Solheim, ami de Jakob, la « star rétro » d’un soir, encore à la hauteur malgré l’empâtement dû au temps mais totalement éclipsé par la prestation de Bella Bruflat. Jakob et Varg décident d’aller saluer Johnny dans sa loge. Johnny n’a pas changé. Son animosité envers Varg est patente depuis l’enfance. Finalement, Varg et Jakob atterriront dans les bras d’anciennes groupies toujours d’attaque, Gro et Kare. Tout pourrait en rester là si Jakob ne demandait à Varg de rechercher sa femme Rebecca qui vient de quitter le foyer conjugal. Varg a gardé de son enfance et de son adolescence un amour inassouvi pour Rebecca. Désireux de connaître ce qui a pu subsister de ses sentiments amoureux, s’ils ont été partagés, il part en chasse mais ses découvertes vont être déstabilisantes d’autant que Johnny Solheim a été assassiné en pleine rue. Tout porte Varg Veum à croire que les morts précédentes ne sont pas accidentelles mais préméditées d’autant que les défunts appartenaient au groupe de rock des Harpers qui s’est dissous du jour au lendemain en octobre 1975. Varg est persuadé que le motif de la dispersion des musiciens d’alors est l’épicentre du séisme qui les terrasse aujourd’hui.
L’enquête du privé norvégien Varg Veum (dont le patronyme se traduit par le « loup dans la bergerie ») est déconcertante au départ car Veum dérive dans ses souvenirs flottants et l’histoire ne décolle vraiment qu’avec l’apparition sur scène de Bella Bruflat puis la disparition brutale de Johnny Solheim, assurément un drôle de loustic doté d’un réel charisme mais pourfendu dès son enfance par un père brutal. Ensuite, tout s’enchaîne inexorablement jusqu’au dénouement en bout de course. Le roman baigne dans une mélancolie profonde. Les âmes nagent en pleine déréliction dans un cloaque qui les englue où les questions existentielles ne trouvent aucune réponse. Les personnages se sont construits selon un passé et des souvenirs qui leur sont propres mais qui ne sont partagés par personne. Varg pense aimer Rebecca qui n’a cure de tels sentiments. Jakob ne sait plus mettre des visages sur ses conquêtes d’un soir. Tout est brouillé comme la vie qui se défile et s’emmêle. Si l’auteur est inapte à décrire les lieux, il excelle à mettre en lumière la perte de l’innocence et l’agonie des anges qui sommeillent en chacun de nous.

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