[Le Nazi et le Barbier | Edgar Hilsenrath, Jörg Stickan (Traducteur), Sacha Zilberfab (Traducteur)]
Ecrit en allemand, en 1968-1968, pour le compte d'un éditeur New-Yorkais, "Le Nazi et le Barbier" devra attendre 1977 pour être publié en Allemagne, pays d'origine de son auteur.
Il y suscitera une polémique immédiate : il n'était pas acceptable, pour la génération post-Allemagne nazie soucieuse d'afficher son sentiment de culpabilité, de traiter du thème de la Shoah sur le mode burlesque !
Car c'est bien la principale caractéristique du roman d'Edgar Hilsenrath, que le ton qu'il utilise, cet humour noir qui tend parfois vers l'absurde et la démesure, qui fait rire et glace à la fois...
Cela commence avec la personnalité de son narrateur, Max Schulz, anti-héros pitoyable, détestable, dont le physique, en dépit d'un "pedigree" irréprochable (celui d'un allemand pure souche), ne répond pas vraiment aux canons de beauté aryens ; il est en effet affublé d'yeux de grenouille, d'un nez crochu, de lèvres charnues, de dents pourries, de cheveux noirs, ...
Ce plaisant personnage déroule ses souvenirs, et nous suivons ainsi le parcours de son existence depuis sa plus tendre enfance (la première de ses anecdotes relate son viol par son beau-père, alors qu'il n'est âgé que de sept jours) jusqu'à l'automne de sa vie : son amitié avec le juif Itzig Finkelstein, né le même jour que lui, et dont il sera longtemps inséparable, son enrôlement chez les SS, sa participation au génocide...
... après la guerre, Max Schulz endossera l'identité d'Itzig Finkelstein, mort en camp de concentration, afin d'échapper aux chasseurs de nazis. Parti vivre en Israël, il y deviendra par la suite un sioniste actif.
Tout ces événements sont relatés sur le registre de l'auto-dérision, le personnage principal donnant de lui-même et de son entourage (sa mère, son beau-père, ses camarades SS) une image peu reluisante de brutes sans cervelle, sales et perverses.
Edgarar Hilsenrath force le trait pour notre plus grand plaisir, parce que c'est drôle, mais cela lui permet aussi de mettre en exergue la prédisposition de l'individu à la barbarie, ainsi que la facilité avec laquelle, dans certain contexte, il se laisse manipuler. Dans le cas de Max Schulz, par exemple, l'adhésion à la cause hitlérienne n'est finalement qu'un prétexte qui lui permet d'être enfin celui qui frappe, et qui domine.
Le comportement et les choix que l'auteur attribue au personnage principal m'ont donné l'impression que son but était de démontrer que l'antisémitisme (et le racisme en général), répondent davantage à un instinct primitif, motivé par la peur de l'autre et le besoin de le dominer, qu'à une conviction réfléchie et sensée.
L'opportunisme du génocidaire, qui passe de l'uniforme SS à celui de la Haganah en est aussi l'illustration : peu importe les principes à défendre, le tout est de sauver sa peau et de faire sa place au sein de la communauté, quelle qu'elle soit...
Malgré tout, Max Schulz ne sort pas tout à fait indemne de ce tour de passe-passe : sous l'assurance, et sous l'apparente absence d'état d'âme, on sent poindre, par moments, des accès de folie, d'hystérie, aussitôt étouffés, dissimulés par un trait d'humour ou un changement d'humeur.
Edgar Hilsenrath nous divertit avec un sujet pourtant tragique. Il démontre ainsi que divertissement et réflexion ne sont pas incompatibles, et que l'humour peut être un moyen efficace de faire passer un message...
Le style est parfois cru, les phrases souvent brèves, nominales, imprimant au récit un rythme dynamique, par moments saccadé.
Le résultat est que l'on ne s'ennuie pas une seconde au cours de la lecture de ce roman atypique.
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