Déconcertant pour qui ne connaît pas Pierre Michon, pour qui n’a rien lu de lui auparavant. Ce qui est mon cas.
Le roman part dans une direction, et on se sent perdu, d’emblée. Est-on dans l’Histoire, dans le rêve, dans une semi-réalité ? C’est à nous de choisir.
Le thème de ce livre est la commande d’un tableau faite à un peintre issu du Limousin dénommé Corentin. Ce tableau, intitulé « Les Onze », représente les onze membres du Comité de Salut Public. A savoir Billaud, Carnot, Prieur de la Côte d’Or, Prieur de la Marne, Couthon, Robespierre, Collot d’Herbois, Barère, Robert Lindet, Saint-Just et Jeanbon Saint-André.
Michon remonte à l’enfance de Corentin pour nous expliquer la genèse de l’art de Corentin.
Le tableau représente l’Histoire et non pas des personnages morts. Il représente le pouvoir révolutionnaire en acte.
Le tableau est le résultat d’une commande faite une nuit entre les murs obscurs d’une église désaffectée, par un Comité composé de trois révolutionnaires.
« Minuit était largement passé. Ils entrèrent vite dans la chaleur, tous les trois, houppelandes relevées sur le nez, chapeaux à deux cornes enfoncés sur les yeux, cocardes, bottes ; le troisième homme plus d’aplomb que les autres. Il jetèrent les houppelandes et les chapeaux à côté du buste de Marat, sur la petite table en entrant, comme l’avait fait Corentin du manteau couleur de fumée d’enfer. Corentin les avait situés tout de suite. Ils se tournèrent vers lui, il reconnut pleinement les traits surgis dans la lueur du feu et de la grande lanterne : le cheveu plat et la sale gueule du premier, le cheveu très blond et fourni, flamand, et l’œil globuleux, flamand, stupéfait, mais impassible du second ; le cheveu plat aussi, raide et en pluie, le petit anneau d’or à l’oreille, le teint de cuivre et l’aplomb vertigineux, quoiqu’il fut plutôt petit, du troisième. C’étaient bien eux, dans l’ordre : Léonard Bourdon, le glapisseur, le ci-devant maître d’école, aujourd’hui chantre de la déesse Raison, défanatiseur et régénérateur, fondeur de cloches et de châsses – le gringalet qui par la voix était une meute à lui tout seul ; Proli, l’homme aux mains d’or, le banquier des patriotes – Corentin fut surpris qu’il fût là, il le croyait sous le coup d’un mandat d’amener et en fuite ; le troisième homme était Collot d’Herbois. Il les connaissait tous les trois, mais Collot, il le connaissait autrement. »
Ce dernier précise la demande à Corentin, il s’agit de peindre Robespierre et les membres du Comité de Salut Public qui le soutiennent plus particulièrement les robespierrots (Saint-Just et Couthon) de telle sorte qu’ils puissent apparaître comme les héros principaux de la Révolution ou si par hasard, le vent venait à tourner, comme une trinité des ambitieux ayant pour seul objectif de confisquer le pouvoir, d’établir la tyrannie et d’éliminer tous ceux qui ne pensaient pas comme eux.
Je reste totalement stupéfait par ce livre, par la puissance de l’imagination de Michon et par l’originalité de son style qui se marie ici parfaitement avec la période qu’il décrit. Style qui n’est pas un long fleuve tranquille, mais un torrent fougueux qui balaie tout sur son passage et qui charrie des images d’une puissance folle qui se heurtent avec violence dans un rythme tourbillonnant. Lorsqu’on commence la lecture d’une phrase on ne devine jamais à l’avance les mots qui vont arriver. Ils surprennent, ils déconcertent, ils transcrivent une réalité perturbée.
Je ne connaissais pas Michon. Je le découvre. Je vais le découvrir.
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