[La vieille dame qui ne voulait pas mourir avant de l'avoir refait | Margot D Marguerite]
Le polar de Margot D. Marguerite secoue ses personnages sans répit et sonne dur le lecteur au passage. Il y a plus de 500 pages à lire mais le rythme est haletant, l’action constante et le découpage en très courts chapitres, chapeautés d’un titre évocateur, captive. On reste parfois rivé à ces titres étonnants avec le cœur qui s’accélère et la bouche qui s’assèche. On refuse de décoder le titre et le choc dû à la lecture qui s’ensuit est accru. Cette manière de procéder est particulièrement efficace. L’histoire est sans temps mort. Elle serait pourtant banale, un peu manichéenne mais une présence quasi tangible se dégage des personnages. Tout commence avec Charles Zampierri, parrain du ‘milieu’, truand de la vieille école, intelligent, sadique, diablement efficace. Il mange seul au Lionceau,
« un restaurant avec boiseries et nappes blanches, fréquenté par la haute, à deux pas de la Madeleine, un quartier voué depuis toujours à la finance et à la prostitution ». Arrive Stan-le-Slave,
« un gamin de tout juste vingt ans avec une belle gueule de gouape. Un petit jeune cruel et manipulateur qui irait loin, si Dieu lui prêtait vie ». Tout de suite le lecteur est accroché tant les dialogues sonnent juste dans la bouche de malfrats crédibles. De plus, la situation est drôle. Il y a de la jubilation dans l’air en dépit de l’électricité ambiante. Corinne, une prostituée du réseau, sous la houlette de Stan, s’est fait la ‘belle’. Zampierri, le caïd, a ramené la brebis égarée et la remet, toute tremblante, au grand petit méchant Stan. Stan s’est fait remonter les bretelles par Zampierri. Stan a eu peur du vieux. Stan voudrait sa place. Stan a les nerfs. Quelques gélules de benzé pour le speed et Stan le Yougo va faire un exemple de Corinne. Sous le titre « La mafia corrige Corinne », la torture de la prostituée est un calvaire pour elle et un supplice pour les autres « filles » rassemblées, tremblantes, assistant à la mise à mort sadique, amorale, méthodique de leur amie. Le lecteur a aussi les jetons. Il pressent derrière la fiction tout un monde âpre, violent, inculte et anonyme, se débattant, souffrant et jouissant sans le moindre brin de compassion. Princesse, celle qui a
« un piment dans la chatte », décide, au vu du spectacle terrifiant, de prendre la fuite et d’aller se mettre au vert. Elle retrouve, après cinq ans de tapin et sans donner la moindre nouvelle, sa vraie famille c’est-à-dire Paul, son frère et sa grand-mère, Pauline. Grâce aux conseils du chirurgien défroqué et ami d’enfance de Paul, Agamemnon Rosenberg, grâce à l’amour, au sens noble du terme, de sa mamie et de son frérot, Princesse reprend pied, se désintoxique mais la dope lui manque et replonger semble si facile. Pistée par les réseaux mafieux, elle est retrouvée et atrocement liquidée. Pauline, quatre-vingt ans et toutes ses dents, ancienne combattante communiste, de l’Espagne au Viet-Nam, décide de reprendre les armes pour venger sa Princesse. Bien qu’il s’agisse d’un pot de terre façonné à l’ancienne contre un pot de fer blindé, bref, d’un combat inégal et perdu d’avance, Pauline réveille d’antiques activistes, des amitiés indéfectibles nées des terrains de bataille minés mais :
« Le problème était qu’ils n’y connaissaient rien. Le monde obscur des voyous, des trafiquants de drogue, des marchands d’êtres humains leur était totalement étranger ». Paul, bien malgré lui, va se trouver embrigadé dans un jeu de massacre jusqu’à Stan et Zampierri. A mesure que l’histoire avance, on découvre avec Paul que l’hydre a de multiples têtes et que les collusions entre la pègre et la politique rendent le parcours encore plus gluant. Paradisio, alias Salmonelle, sorte de Big Monster surveillant tout le monde, tenant Zampierri par les c…, est un régal de psychopathe fasciste :
« Elancé, sec même, le corps noué de muscles à soixante-dix ans passés… Paradisio se tenait droit sur la banquette comme dans un perpétuel garde-à-vous, les deux mains cachés sous une table suffisamment large pour échapper à d’éventuels virus portés par son interlocuteur. »
Il arrive très souvent que l’on rie car certaines scènes glissent dans la bouffonnerie, l’excès, le délire à l’image d’un film de Kusturica, cinéaste que Stan-le-Slave révère :
« Il était heureux d’avoir pris tant de speed. Il se faisait un trip magnifique plein de chaleur et d’odeurs dans lequel il dansait au rythme des cahots de la voiture, une sorte de rap balkanique, les bras loin du corps et des fesses qui ondulent. […] Il pouvait même sentir l’odeur des orangers en fleur. […] Il était dans un putain de film de Kusturica, enfin. »
On ne sait pas si la vieille dame l’aura refait une dernière fois avant de mourir mais elle se sent encore d’attaque :
« Tu t’en ferais pas un, avant de clapoter ? » dit-elle à son amie albanaise Dora, aussi âgée qu’elle, tout en scrutant le ballet des beaux dealers. Celle-ci lui répond sans hésiter :
« Bien sûr que si. » En tout cas, dans toute cette histoire menée aux amphétamines, le lecteur n’est pas refait. La marchandise est bonne.
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