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[Emergences - effacements : errances du regard sur les p...]
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Franz



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Posté: Mer 24 Déc 2008 15:51
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[Emergences - effacements : errances du regard sur les pierres | Martine Braun-Stanesco]

En 2006, dans la collection Esthétiques chez L’Harmattan, Martine Braun-Stanesco publie un texte issu de sa thèse de doctorat en arts plastiques soutenue en 2003 à l’université Marc Bloch de Strasbourg. De prime abord, le sous-titre Errances du regard sur les pierres semble plus explicite que le titre Emergences – effacements. Pour l’enseignante chercheuse, il s’agit d’être attentif à l’instant où une forme figurative surgit d’une tache, au moment où la vision émerge à la surface des pierres. Ces figures évanescentes, piégées dans la matière, « semblent osciller entre la ruine et l’inachèvement ».
Dans une 1re partie intitulée « Murs, galets, déserts : lieux », le procédé du frottage est étudié chez Max Ernst. Le frottement apparaît comme une « ombre rasante », témoin d’un contact (que l’espace d’une feuille sépare) entre « l’ici du peintre et l’au-delà de l’objet ». L’image émergée est et n’est pas ; elle se tient dans un lieu indéfini entre le « monde phénoménal et le néant ». Quant aux dessins sur le sable, ils permettent à André Masson « d’arracher des formes aux abîmes les plus obscurs » sans que la spontanéité de l’apparition ne soit anéantie par une « réflexion fatale ». Les sculptures de Constantin Brancusi sont ensuite étudiées à travers le prisme des pierres polies de rivière. Le galet ovoïde constitue le « Un primordial et indifférencié » dont son œuvre découle. Les sculptures de Brancusi émanent de pierres en mouvement, en devenir, dotées d’un esprit intrinsèque qu’un langage respectueux peut exprimer : « La matière… est invitée à prendre part à l’invention de la forme ». Par le jeu des reflets, les sculptures polies de Brancusi « mettent la lumière à l’œuvre ». Enfin, l’œuvre du peintre et graveur slovène Zoran Music est perçu à travers, d’une part l’image matricielle du désert, ici les paysages karstiques de son enfance, taraudés, érodés : « c’est une terre où l’on voit ce qu’il y a dessous » et d’autre part son expérience du camp d’extermination de Dachau où les corps entassés massivement s’indifférencient dans la mort : « …perdant leurs traits distinctifs. Ils forment une masse… ». Quand sa peinture s’affaiblit, les morts anonymes du camp d’extermination refont surface sous la toile. Les images qui remontent et reviennent lentement à la conscience sont épurées, essentielles. Music est le « portier qui filtre » et rend apparent « l’invu » qui ne demande qu’à « surgir dans le visible ».
La 2e partie, intitulée : « La caverne : lieu », revient à la grotte, 50 000 ans en arrière et tente de cerner la naissance de l’art. La roche stimule et oriente le geste de l’artiste préhistorique : « La nature précède. Elle est plus ancienne, plus durable, plus terrifiante ». Les dessins enchevêtrés, incomplets, malhabiles et souvent illisibles à proximité des grandes compositions pariétales seraient soit des croquis préparatoires, soit des manifestations votives de fidèles à l’entrée d’un sanctuaire. Ensuite, Martine Braun-Stanesco s’intéresse à l’attention que Léonard de Vinci porte aux taches sur les murs et de sa recherche « d’un principe dynamique d’organisation des formes ». La nature semble « œuvrer » continuellement les éléments et les choses de l’intérieur. A partir d’une souillure murale, il s’agit, pour Léonard de Vinci, d’extraire la « bonne forme » sans chercher à la délimiter, d’abord par un dessin gribouillé et confus avant de suppléer aux manques par des ajouts et un travail sur les détails. L’œuvre inachevée chez Léonard est doublement touchante car elle approche davantage son inaccessible modèle et elle reflète une pensée en mouvement. Enfin, Martine Braun-Stanesco oriente sa réflexion vers l’œuvre d’Alberto Giacometti. L’artiste aura été marqué par la découverte, dans son enfance, d’une caverne dorée, lieu fusionnel avec le monde et d’une pierre noire de forme pyramidale, signe de mort et d’abandon. Son œuvre oscillera dans une vision indéterminée (les visages dessinés semble se dissoudre dans un fond gris) comme la tension exercée entre ces deux pierres polarisées.
Sans cesse, la réflexion de l’auteur est stimulante pour le lecteur. Le style est vivant, quasiment exempt des boursouflures d’un jargon abscons. Les phrases sont équilibrées, les mots bien choisis, savamment pesés. Toutes les références bibliographiques et les citations d’auteur sont parfaitement assimilées et intégrées avec intelligence dans le texte, sans heurt, avec naturel. En dépit d’un propos qui pourrait paraître obscur et accessoire de prime abord, voire décousu, la lecture de la thèse remaniée ouvre des portes sur des champs attrayants de recherche et d’interrogation dans les domaines de l’esthétique et des arts plastiques. Quand l’auteur se trouve au seuil du visible et du dicible, la poésie prend le relais et invente d’autres chemins pour aller au-delà des mots et de la compréhension immédiate du monde. Le poète Yves Bonnefoy écrit fort à propos : « Dessiner : comme aller loin, dans les pierres ».

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